CopyRight2021StanislasBanda

Je m’efforce de ne pas être l’otage de l’actualité des médias internationaux. Avant tout, je vais dire une chose pour éviter toute équivoque. Tous les peuples qui sont en souffrance sont de facto de cœur avec ceux qui les rejoignent en cours de route. Nous, peuples du sud, savons mieux que quiconque ce que c’est d’être dans l’endurance, la torture, le désespoir sous le regard éploré et perfide des autres. Nous regrettons de ne pouvoir aider car nous sommes nous-même dans un dénuement absolu. Nous n’avons pas les moyens disproportionnés des peuples du nord. Je n’ai rien d’autre à rajouter.

Cela fait un bout de temps que je ne vous ai pas parlé de la langue banda. Il
y a quelques mois, j’avais commencé à opérer mon immigration vers l’Afrique. Il ne s’agissait pas d’un reflet de la thèse identitaire ambiante. Il est juste question du retour d’un voyageur, d’un explorateur qui a fini ses périples et qui rentre chez lui pour retrouver les siens. Ce voyage a été l’établissement
d’un pont entre deux réalités qui sont miennes dorénavant. Car né en Afrique, je me suis réalisé en tant qu’homme ailleurs. Cela a été une merveilleuse aventure.

Ailleurs ce qui m’a le plus manqué, c’était ma langue tribale.

Retrouver la terre de mon clan a été vital. J’y ai recouvré cette manière exquise et lyrique de parler ma langue ancestrale. Je ne la parle pas comme il le faudrait mais elle me semble si naturelle, cette émanation de notre spiritualité, qu’un rien de son ruissellement suffit à mon bonheur.

Ce voyage a mis fin à mes interrogations diasporiques et à mes élucubrations
d’émigré. Par moment, je ne vivais plus l’ailleurs comme une richesse mais
plutôt comme un exil avec son cortège d’acculturation. Pourquoi ? Parce
que l’ailleurs commençait à me vider de ma substantifique moelle. Sur ma route, j’ai croisé le français, l’anglais, le russe, le portugais brésilien, le créole.
J’ai encore et toujours des réminiscences de ces langues dans ma caboche. Alors que la langue banda n’a quasiment plus de périmètre vie dans mon être, faute de pratique, faute de rencontre. Parce que ma condition d’expatrié me permet de rencontrer beaucoup plus d’anglais, de russes, de portugais que de banda.

Voilà pourquoi, en réponse, j’avais commencé depuis quelques années à travailler sur la question de cette langue banda. Face à l’hégémonie des autres langues, il me fallait sacraliser la nôtre porteuse de l’histoire et de la culture banda. Nous devons donc la parler au quotidien pour pouvoir la préserver.

Vous comprenez alors que mon voyage-retour devenait inéluctable.

Une fois sur place, le danger dont je soupçonnais l’existence est bien réel et bien plus critique que ce que je croyais. Je vais être précis. Ce que je vais
avancer comme constat ne concerne que Bangui et sa périphérie.

 Car je n’ai pas pu me rendre beaucoup plus loin à l’intérieur du pays. Cela m’a été déconseillé fortement car le pays n’a toujours pas retrouvé sa stabilité
sécuritaire. Il ne s’agit cependant pas d’une insécurité permanente. Il y a de
la circulation. Le danger est aléatoire. Comme quand on se rend d’un bout de Paris à l’autre, ou quand on traverse tout Marseille, nul ne peut présager de la suite. En tout cas, je n’ai pas tenté le diable car mon agenda était
débordant de toute façon.

 Bien entendu à Bangui, j’ai trouvé, avec bonheur, des personnes locutrices banda. Il s’agissait très souvent de personnes soient âgées, soient déplacées, ou les deux à la fois. Un déplacé se retrouve à la capitale pour cause d’insécurité régionale et autres. La plupart des ressortissants banda parlent de moins en moins leur langue au quotidien ; les autres sortent à peine quelques mots ou n’ont qu’un discernement linguistique apathique sans pouvoir utiliser la langue.

 La raison est depuis longtemps connue :

L’idée d’une communauté nationale, dans l’esprit des colons et de l’administration gérée par leurs vassaux autochtones, ne pouvait se conjuguer avec la pratique des langues tribales. Du coup notre école républicaine a été le goulag de nos langues régionales en nous proposant d’autres langues et en contribuant à l’éradication programmée des nôtres. L’équarrissage de nos langues s’est opéré méticuleusement.

En faisant le tour des jeunes de ma famille et des alentours, j’ai compris les
responsabilités qui m’incombaient et l’obligation de poursuivre mon travail sur la langue banda. À Bangui, j’ai mis en place une petite équipe de travail. En plus de superviser nos travaux sur le parler banda, mon profil d’ânonneur fait de moi un parfait cobaye pour les différentes études.

En trois mois, j’ai réalisé plus qu’en quarante ans.

Je suis en France en ce moment. Je travaille sur les matériaux linguistiques ramenés de Centrafrique. La masse de travail est énorme. Mais je dois avancer très vite car j’y retourne dans quelques mois. Oui, il s’agit d’un retour progressif. Ces voyages aller-retour constitueront un sas de décompression pour moi. Car il est question de réadaptation climatique, sociologique, culturelle, de me réconcilier, de trouver d’autres repères, d’autres réseaux, de changer de logiciel, de retrouver l’essentiel etc…

Concernant la démarche collective, je me suis assagi depuis car l’urgence du pays se trouve ailleurs. Mais à mon niveau personnel, l’impératif reste d’actualité. Je dois non seulement poursuivre ce travail mais préparer la jeune génération à le perpétuer et c’est en bonne voie. Car le réveil national, régional, tribal, clanique sera douloureux, très douloureux.

 Pour illustrer, ma pensée, je vais vous relater une situation vécue : J’ai croisé de belles personnes dans une belle région luxuriante (la photo) avec un regrettable, dommageable et malavisé penchant, elles abattaient tous les arbres, mêmes centenaires pour en faire du charbon de bois. Affolé par cette pratique, je leur fais part du souci écologique de leur comportement. Je n’ai reçu qu’une réponse narquoise me signifiant que je n’avais pas encore pris la mesure de leur réalité. Puisque je vais m’installer dans ce coin, j’en prends fait et cause.

 Traduction : Il est erroné de croire qu’il y ait un gardien du temple culturel, qui doit veiller sur notre sacro-saint berceau banda, le protégeant envers et contre tous, qui, quand le jour viendra, remettra aux survivants la clé du sanctuaire tribal laquelle ouvrira des portes nous dévoilant nos trésors engloutis. Ce que je dis reste valable pour toutes les autres tribus.

Ce que j’ai vu en Centrafrique, m’incite à plus de circonspection. Nous devons tous agir avec réserve autant dans nos actes que dans nos paroles. Personne n’est chargée de garder au chaud quoi que ce soit pour qui se soit en Centrafrique. Ce qu’il faut comprendre : il n’y a pas de préposé au gardiennage de nos propriétés, de nos entreprises, de notre culture, de notre écologie, de la famille et autres. Il ne faut pas croire qu’il faille seulement rentrer et mettre les pieds sous la table. Nenni !!! Il est question ici de responsabilité collective à travers l’engagement de chacun.

Conficius disait : « Il faut d’abord faire ce qui nous coûte, ensuite ce qui
nous plaît. C’est la vertu de l’humanité. »

 Pour finir, j’ai constaté que les anciens étaient de moins en moins âgés en
Centrafrique. Leurs souvenirs remontent à peine aux indépendances. Je n’ai
relevé aucun endroit dédié à la mémoire, et donc quasiment aucune traçabilité historique. Un soir, dans le fameux village cité plus haut, inconsciemment comme un enfant, j’attendais quelque chose et visiblement les plus jeunes aussi.  J’ai mis un peu de temps à comprendre qu’ils attendaient qu’un ancien s’adresse à eux. J’avais juste oublié que je faisais dorénavant partie des anciens. J’ai pris mes responsabilités. Je me suis donc retrouvé, moi, venant de France, à raconter des contes centrafricains dans un village le soir, autour du fameux feu de bois. Les enfants, mais pas qu’eux, les adultes aussi, écoutaient. À la fin, ils m’ont supplié de remettre cela le lendemain. Ils m’ont dit que ce moment-là n’existait plus dans le village. J’ose espérer qu’il ne s’agisse que de leur cas. Mais la vraie question, c’est :  Qui transmettra quoi ? Comme dirait mon cher cousin : À méditer.

 À très bientôt.

Stanislas Banda
Inji balé, Ocho balé
Uzu balé, ama balé