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J’étais parti en Centrafrique à la recherche des anciennes gloires. J’avais également l’intention de collecter ce qui fait défaut dans notre histoire commune. Ce qui compte pour moi, c’est de rendre justice à ces pionniers. L’une des premières choses que j’ai faites a été de prendre des photographies et des vidéos. Je m’étais fixé comme mission d’interviewer, ceux qui ont nourri nos vies de désirs, de rêves, d’espoirs, de joies, d’insouciances… Je devais trouver ou tenter de trouver des réponses aux questions que tout le monde se pose sur ce que sont devenus les musiciens qui ont fait partie de nos mythiques orchestres. Aujourd’hui, je vais juste partager avec vous quelques extraits de ces moments.

Fili de son vrai nom Zounamo Lamine Fulbert. Il fut le bassiste de la période phare de l’orchestre « Formidable MUSIKI.

J’ai eu la chance de le revoir et ce dans des conditions exceptionnelles, grâce à la diligence de Ringo Ngandalé. Fili n’a jamais été dans l’économie de la créativité. Chacun de ses jeux de basse dans les œuvres de Musiki était une proposition qui emmenait dans une direction transcendante. Écoutez le dans « Mabikala », sa propre composition. Il y assure une très belle interprétation à caractère mineur. Je suis resté en apnée à chaque fois que j’ai écouté ce titre. Je comprends aujourd’hui, pour en avoir discuté avec Fili, son parti pris émotionnel. Il rendait un hommage vibrant à sa mère… Aussi je suis très surpris de la disparition de ce titre des médias centrafricains. Plus aucune trace à la radio centrafricaine, ni sur Youtube. D’ailleurs ce titre n’est pas le seul aux abonnés absents, il y a aussi Locko de Musiki également. J’en profite pour vous solliciter, les uns et autres centrafricains, à rechercher dans vos archives sonores ces pièces et à les remettre en circulation…

  Dans mes échanges avec Fili, il se rappelle de son papa qui aimait beaucoup la musique. Celui-ci avait des disques vinyles et le célèbre tourne-disque « La voix de son maître » marque de Pathé-Marconi. Et c’est delà qu’était parti sa passion pour la musique. Son père, tailleur de métier, qui jouait beaucoup de mambo, se décrivait comme un « ambianceur ».

Il m’a rappelé les souvenirs de ses débuts dans Musiki.

« Je suis rentré dans Musiki en 1974 » a-t-il dit.

Mais avant cela, Fili avait été en tournée d’un an avec Super Élégance. Un orchestre avec beaucoup de camerounais. Il y avait aussi Masseli. De passage à Carnot, ils avaient croisé un soliste camerounais qui venait du Cameroun pour aller jouer dans « Centra ». À l’époque où Mayélé jouait au croisement du Dragon rouge. Les musiciens camerounais de Super Élégance ont mis la main sur leur compatriote, bon soliste de surcroît et qui jouait bien du classique. Classique étant un terme générique désignant un répertoire de variétés englobant le rock and roll, la valse etc… C’est donc dans un esprit de partage de savoir que Fili a passé un deal avec ce soliste pour qu’il lui apprenne du classique et à Fili, en retour, de lui apprendre du typique. Et Fili de rajouter que même s’il avait déjà fait un peu de classique auprès de Socks dans « Vis-à-vis Junior », ce n’était pas encore assez pour être un bon musicien de variété.

Quelque temps plus tard, Fili avait croisé au km5 Bojojo qui l’avait informé de leur intention avec Yézo de monter un orchestre. Et qu’ils avaient besoin d’un bassiste. Fili a alors accepté car il connaissait bien Tieri Yézo aux côtés duquel il avait grandi à Sica. Ils se sont rapidement retrouvés chez Bojojo au quartier Bazanga. Ils y ont répété un peu en résidence avant que Tieri retourne chez sa mère à Sica 1. Il avait là, une guitare acoustique. Il a loué des instruments à Antoine Karawa, le grand frère de Karawa Johnson. Il y avait un drums, ce qui a permis l’arrivée de Alphaba. Il précise qu’ils étaient tous, avec Delmas, Papéro, des jeunes de Sica 1. Leur premier concert a eu lieu au 5ème étage du Safari Hôtel. Puis au « Cactus », une boîte de nuit. Le 13ème étage de Safari Hôtel était géré par le Colonel Nguéma. Et grâce à ce dernier, ils y ont pris résidence. La stabilité de Musiki était arrivée à ce moment-là.

À la question « Qu’est-ce que tu aimerais qu’on retienne de toi ? » Fili a répondu :

  • Fili Zounamo, le descendant des anciens de la musique.

Voilà comment je décrirais Fili :

Sans se départir du travail de complicité et d’interdépendance avec les différents pôles de l’orchestre Musiki, son toucher l’identifie sans équivoque. Tout en gardant comme socle le style des anciens, Fili a rajouté dans ses lignes de basse des constituants rythmiques et mélodiques jusqu’alors inexplorés. Enraciné et carré, Fili a influencé toute une génération de bassistes.

J’ai certes rencontré une ancienne gloire du passé. J’ai surtout découvert des artistes avec plein de projets mais qui ont perdu leur territoire. Bangui n’est plus un espace culturel comme il l’avait été à une certaine époque… Le pays n’offre pas d’espace pour l’entité la plus importante de notre identité, la culture. Il ne s’agit pas de ma part d’une critique. J’ai constaté avec tous mes sens que le pays est dans un processus de reconstruction après une longue traversée de désert. Nous sommes encore dans l’oeil du cyclone. Le processus sera long car il y a des priorités. Voilà pourquoi, c’est contre-productif de se figer dans la critique permanente. Chacun doit fournir sur place sa part d’effort pour que l’on puisse offrir un autre horizon à notre jeunesse. D’ailleurs, j’ai hâte d’y retourner.

Fili, dans une sincérité absolue, m’a livré toute son expérience musicale dans une interview filmée. Je partagerai avec vous toute l’intégralité de cet unique et exceptionnel moment quand j’aurais fini mes montages vidéo.

 À très bientôt.

Stanislas Banda
Inji balé, Ocho balé
Uzu balé, ama balé