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Ailleurs, en Europe par exemple, pour faire à manger, on a droit à des appareils de cuisson : des cuisinières.

Elles peuvent être à gaz et comme le qualificatif l’indique, elles utilisent du gaz de ville, du butane qui est un gaz de pétrole liquéfié ou du propane qui est un combustible naturel d’aspect gazeux et incolore.

Les cuisinières sont aussi électriques, constituées essentiellement soit de vitrocéramique, c’est-à-dire d’une plaque électrique recouverte de verre trempé ou soit elles sont à induction reposant sur une technologie électromagnétique. C’est-à-dire qu’elle chauffe uniquement si elle rentre en contact avec le récipient compatible.

Il y a aussi la cuisinière mixte, appelée aussi Piano qui est un mélange de deux précédentes.

En Centrafrique, sauf dans quelques rares familles très aisées, on n’utilise pas ces appareils. Car on n’a pas les moyens de s’en offrir. Et la plupart du temps, on a plutôt recours au bois, sous la forme fagot de bois ou charbon. De toute façon, la disponibilité de l’électricité étant parfaitement aléatoire, la valeur sûre reste le bois.

J’ai utilisé à escient dans le titre de cet article, le terme destination pour les arbres. La nature a l’art de donner naissance aux arbres qui ont une espérance de vie supérieure à la nôtre et ils ont tous le point commun de mourir à l’endroit même de leur naissance, après avoir rempli, entre autres, un rôle : produire de l’oxygène, purifier l’air en absorbant le CO2, filtrer l’eau… Pourtant, l’homme a assigné à l’arbre une autre destinée.

Hélas, nous touchons au nœud gordien qui est l’abattage abusif en Centrafrique des arbres même centenaires et ou remarquables. La situation critique du pays ne permet pas de prendre en compte les effets dommageables de ces coupes. Car je l’ai déjà dit à d’autres moments, les priorités sont ailleurs.

Toujours est-il qu’il y a deux formes de pratique :

Des coupes, tournées vers l’autoconsommation, effectuées par les locaux pour une utilisation domestique mais aussi pour du petit commerce. Sur ma photo, ce pousse-pousse peut effectuer entre une cinquantaine et une centaine de kilomètre dans des conditions d’un autre âge pour livrer la Capitale. Il faut savoir qu’on en croise ainsi à toute heure de la journée et aussi la nuit. Cela donne une idée de la dévastation de nos forêts.

Peut-on faire autrement ? Non, dans l’état actuel des choses. La prise de conscience n’est possible, que si l’on peut substituer le bois par autre chose. Observez bien la végétation sur ma photo, il sera extrêmement difficile de convaincre un local que bientôt nous manquerons d’arbre.

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Il y a aussi la sylviculture dans le cadre d’une exploitation forestière à grande échelle. Il y a beaucoup de chose à dire sur cette question-ci. Et qui mériterait un article à part. Tout ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que, quatorze ans plus tôt, en 2008, j’avais fait un reportage à propos. Je m’étais posté aux encablures de Pétévo (Centrafrique) pour filmer le défilé des poussepousses ravitaillant la Capitale Bangui en bois. Durant une heure le spectacle d’environ une vingtaine de poussepousse était accablant. Rien que pour ce poste d’observation. Chaque pousse-pousse charriait l’équivalent de quatre arbres. J’avais partagé ma préoccupation avec une charmante dame de l’entourage de Président de l’époque. Sa seule réponse, édifiante, a été : « C’est le pré carré du Président. Il n’y a rien à redire ».

Photo prise en 2008 en Centrafrique

Je me rappelle ce jour où en pleine savane, le bruit de cette tronçonneuse au loin qui m’a fait l’effet d’un arrachement. Oui, comme si on m’arrachait le cœur. Avant, çà n’était que le fait de grandes entreprises. Mais aujourd’hui, même les locaux s’y mettent. Il s’agit d’un « écocide » pour le compte du trafic de bois marchand.

Nous n’avons ni le temps, ni les moyens de mesurer l’étendue des dégâts considérables. Les forêts vont devenir des clairières. Des espèces vont émigrer.

La photo suivante est un four à charbon que j’ai photographié en pleine savane boisée à plus de cinq kilomètres de la première habitation. Il peut être profond de 3 à 4 mètres. On y place les rondins et billots. On y met le feu. On recouvre le tout de terre. Car on les brûle à l’étouffé. Le charbon obtenu partira pour la vente. Les bénéfices de ce carnage sont maigres. Cette industrie clandestine n’a pas encore produit de millionnaire à ma connaissance.

Four à charbon, CopyRightStanislasBanda

La savane est un écosystème complexe. Elle abrite une végétation, une faune (des herbivores, des carnassiers et autres…), de l’eau (rivières…). Elle participe donc à l’équilibre écologique du cœur de l’Afrique. Mais il s’y joue cependant des drames insoupçonnés. L’homme saigne la savane en abattant les arbres. Et un jour, nos sols ne seront plus protégés de la violence des pluies et des eaux. Ils vont s’appauvrir et nos plantations produirons maigre.

En faisant du charbon avec le bois abattu, notre bilan carbone ne jouera pas en notre faveur.

Charbon prêt pour le packaging, CopyRight2022StanislasBanda

Le charbon est vendu en gros, dans des sacs de ciments en papier kraft récupérés ou quelques fois dans des sacs en toile de jute, pour une somme de 1500 Frs cfa. Un sac, c’est à peu près la consommation énergétique hebdomadaire nécessaire pour une famille. Sinon la ménagère peut se contenter d’acheter le charbon conditionné dans de petits sachets à 50 Frs cfa l’unité.

Quand on brûle le bois pour cuisiner, nous sommes coupables et comptables de la production du monoxyde de carbone qui pollue notre environnement.

Peut-on faire autrement ? Visiblement NON !!! Pourtant l’écologie nous recommande une neutralité carbone pour contenir le réchauffement climatique. Je ne prends pas ces aspects à la légère. En France, pendant une canicule, j’arrive à trouver des solutions pour tenir le coup. Cette fin de janvier 2022, j’étais à Bangui. Quand la période de sècheresse (bourou pour les centrafricains) s’était installée, un alizé, l’harmatan, souffle ; l’air chaud est très sec et pleine de poussière. La chaleur exogène augmente la température du corps. J’étais en hyperthermie. Ce type de période met tout le monde au ralenti. L’économie en pâtit. Les cas de décès sont réels. Voilà pourquoi, avoir une vision nationale ou du moins une projection nationale sur la question du bois ne serait pas du luxe.

Nous devons anticiper et non réagir en fonction du diktat extérieur. Voilà à quoi doivent servir les longues études fondamentales et appliquées. Dans un état du tiers monde, un détenteur de Master en mathématiques voire Doctorat ne doit pas inéluctablement devenir un enseignant. Il doit pouvoir mettre son savoir au profit d’une ingénierie ou d’une industrie de haute technologie telle l’énergie, la recherche pétrolière, la chimie… à titre d’exemple. Dans le même état d’esprit, on ne peut pas sortir Médecin généraliste ou spécialisé et aller se barricader au ministère de la santé ! Un médecin, un dentiste, un pharmacien, un maïeuticien, une gynécologue obstétricienne a mieux à faire que de siéger à un conseil ministériel. Comment voulez-vous que la nation avance sans les détenteurs des savoirs appliqués ?

Dorénavant, on peut voir les remorques de camions internationaux, remplies de troncs d’arbres abattus, stationnés aux vues et aux sues de tous dans la grande Avenue des Martyrs (quelques centaines de mètres avant l’Avenue Koudoukou).  Les cargaisons sont à destination du Cameroun. Je suppose que c’est par là qu’elles vont prendre la mer après que les camerounais se soient sucrés au passage. La demande de bois provient d’Europe.  J’aime à penser que le pays en tire (malgré la gravité de cette exploitation) des bénéfices même si cela ne soit pas observable par le commun des centrafricains. Mais à qui profite vraiment ce commerce ?

Franchement, je ne peux pas avoir une analyse manichéenne de cette configuration. Mon discours ne doit pas être lénifiant. Je me dois une analyse opérationnelle. Voilà pourquoi, je ne blâme pas la pratique des locaux. J’ai été vivre avec eux. Ils ont beaucoup à nous apprendre sur la capacité à faire corps. Mon approche est plus nuancée car moi aussi, à leur place, j’aurais fait la même chose. Ce qui m’a semblé plus problématique, mais en tenant compte des priorités actuelles, c’est l’absence de projection sur cette question d’une part. Mais peut-être que je n’ai pas encore tous les tenants et aboutissants !!! Et d’autre part, la liberté accordée au profit étranger. Mais encore une fois, je ne connais pas les implications.

Je ne me mettrai pas la rate au court-bouillon pour ces questions-là. Je m’éviterai d’inutiles polémiques en conduisant plutôt des expériences tournées vers un collectif nécessiteux. Les réflexions ascétiques de nos intellectuels n’ont produit jusqu’ici qu’une vie d’oraison et de mortification.

 Moi, j’ai des impératifs. Des enfants, des jeunes, des anciens m’attendent là-bas. J’aimerais juste être à la hauteur de leurs attentes. Une construction épicurienne de l’éducation et du vivre ensemble me semble plus productive que l’austérité réflexive proposée par nos intellectuels et responsables.

Ces derniers ont déserté l’espace du quotidien. Ils arpentent inlassablement les réseaux sociaux et naviguent de conférence en conférence, ces nouveaux goulags de la pensée. Ces arènes où s’affrontent nos gladiateurs africains dans un combat prétextant honorer une pensée de libération. Tout cela se passe devant un public hilare, hystérique et non représentatif (le 0,000001% qui traîne sur les réseaux.) La fin de ces joutes est toujours consacrée à celui qui a passé la commande : le maître. Le gladiateur vainqueur attend le geste du pouce tourné vers le bas pour la mise à mort de son frère de combat. Et comme c’est toujours le cas, le vainqueur retourne à sa misérable vie en attendant de nouvelles acclamations.

Mais l’homme dans sa folie ne s’arrête pas à la seule découpe des arbres. Comme si cela ne lui suffisait pas, il met aussi le feu à sa végétation de manières intentionnelles. Dans le temps, on pouvait parler d’écobuage. Le fait de brûler pour enrichir le sol. Mais nous connaissons aujourd’hui l’effet destructif de cette pratique sur les éléments nutritifs du sol. Sans oublier sa contribution climatique à l’effet de serre.

Mais il y a encore plus préoccupant lorsqu’un homme ou un petit groupe met le feu à toute une savane juste pour débusquer un rongeur qu’il destine à sa goinfrerie. C’est ainsi qu’une semaine avant mon retour à Paris, toute notre plantation familiale fut brûlée. Nous n’étions pas les seules victimes du feu : la majeure partie des familles du village fut aussi concernée. Le feu a parcouru trois collines et toutes les vallées adjacentes. Le travail d’une année anéanti par une pratique exécrable. Son impact est multiforme : social, économique et environnemental. Le pays n’offre aucun système de compensation et autres. Et pourtant, les cultivateurs sont quasiment les seuls pourvoyeurs économiques de ce pays. La probabilité que cela se reproduise l’année suivante est très forte. Si déjà dans les nations riches, l’acquisition de Canadair bombardier d’eau n’est jamais une mince affaire, alors imaginez pour la 5ème nation la plus pauvre du monde. C’est simple, il n’y en a pas. Si le feu s’abat sur la savane, il s’arrêtera selon le bon désir de mère nature. Si le feu s’abat sur un village, cela peut être juste un désastre.

Un soir, juste avant d’aller me coucher, mon regard fut attiré par un feu (la photo) au loin sur une des collines marquant les limites territoriales du village. Mon côté reporter voyait quelque chose de beau mais je ne mis pas longtemps à me rendre compte que l’enfer venait de s’inviter chez nous. Plus personne ne souriait. Le ton était soudainement devenu grave.

Feu sur la colline du village. CopyRight2021StanislasBanda

Comme dirait mon cousin,  » À méditer » !!!

À très bientôt. 

Stanislas Banda
Inji balé, Ocho balé
Uzu balé, ama balé