Je vous ai déjà parlé de la vie des arbres en Centrafrique. Je vous ai aussi dit que leur transformation en charbon était dans un but de consommation domestique. Maintenant, vous allez savoir pourquoi exactement on utilise le charbon.

Étant donné qu’il n’y a pas de superette dans nos campagnes pour nous approvisionner en barquette de viande, nous ne pouvons compter que sur le chasseur. Lui seul peut nous livrer nos acides aminés essentiels, notre indispensable source de protéines. Vous remarquerez que j’ai dit chasseur et non braconnier. Parce que ceux que j’ai pu croiser répondaient à des demandes vitales de la collectivité. Ils ne sont pas en violation des pratiques ancestrales de leur communauté.

Ils utilisent essentiellement des pièges au collet.

Voici un piège à collet

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Je ne l’aurais pas remarqué sans la disposition particulière des cailloux. D’ailleurs on distingue à peine le fil utilisé.

J’ai croisé ce type de piège en traversant la savane. Il est fait avec soit un fil métallique quand c’est possible sinon avec de la matière naturelle filée ou tressée pouvant servir pour le nœud coulant. Celui-ci, dissimulé dans les herbes, est posé sur le passage des petits animaux.

Tout le long des pistes, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de remarquer que les locaux utilisent aussi des filets de chasse. Le chasseur élargie ses possibilités.

Voici un filet de chasse

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Comme pour la chasse au collet, la chasse aux filets fait aussi partie des chasses traditionnelles. Il y a deux groupes de chasseurs dans ce cas de figure. Il y a les postés qui se positionnent devant le filet et charge à eux d’achever l’animal qui viendra se prendre dans les filets. Et il y a les traqueurs, accompagnés par leurs chiens, qui rabattent les gibiers vers et dans les filets en poussant des cris et en frappant la végétation avec des branchages.

Au village, j’ai aussi assisté à la préparation des tapettes artisanales qui sont un autre type de piège…

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Je suis mal à l’aise pour parler de ce type de piège car il n’y a pas si longtemps j’ai dû en placer dans ma cave parisienne. Je n’ai vraiment rien contre les rats mais je crois que la vindicte populaire autorise encore et toujours ce type de barbarie partout dans le monde.

Il reste d’autres types de chasse : à tir, à la flèche, à la lance… Mais il m’aurait fallu faire plusieurs articles et franchement je n’ai pas le temps nécessaire.

Doit-on rendre grâce à la chasse de subsistance qui contribue à faire de nous des êtres raisonnés ou bien faut-il encenser l’élevage de masse pour répondre à notre orgie carnassière ? C’est une équation insoluble. Car manger est une transgression nécessaire. Toutes les espèces existantes, animale, minérale, végétale, sont prédatrices. La vie dépend de cette gloutonnerie.

Je vous ai mis la photo d’un collet prise lors d’une de mes excursions dans la savane centrafricaine. Dès que je l’ai vu, instantanément, j’ai eu le sentiment d’une agression contre nature. Et pourtant, dans ma jeunesse, je posais des collets. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Le fait d’avoir vécu longtemps en Europe a reconditionné mon logiciel. Acheter ma viande en barquette au supermarché m’a déresponsabilisé de cette entorse vitale.

Manger ne doit pas l’être au radar. Dans le village où j’ai été, seuls les produits de premières nécessités étaient vendus au bord des pistes : sel, huile… Pas de superette pour s’approvisionner en viande. Seule manière d’en avoir, c’est qu’elle soit proposée par un chasseur. Donc l’approvisionnement a un caractère aléatoire. Il n’y en a pas pour tout monde. Et de surcroît, on n’a pas le choix.

C’est donc pour cela qu’on utilise le bois, le charbon car sinon on devrait manger cru sa viande et ses légumes. Le fagot de bois a besoin de clients à griller.

La viande, produit des différentes chasses, peut alors se décliner :

  • En Biche
  • En rat, en agouti, en sibissi…

Voici un agouti prêt à l’emploi

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Un jour, en me rendant dans mon champ, je croise deux enfants, d’une dizaine d’années environ, qui longeaient une case et portant chacun un récipient. C’était à l’heure où plus aucun adulte ne traîne dans le village.  Je leur pose la question, « qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? ». Ils me répondent « nous allons manger ». « Et qu’est-ce-que vous allez manger ? ». Le plus âgé des deux me répond exactement : « Nous avons préparé un cœur et des viscères de serpent ». Je suis resté bouche bée car mon nouveau logiciel interne avait du mal à traiter l’information. Normalement ces choses-là ne devaient pas m’ébranler. Elles sont dans ma mémoire ancienne. Mais voilà, avoir vécu des décennies en Europe change la donne. J’ai emprunté une sensibilité occidentale qui altère ma placidité. Ça me rappelle, une autre fois nous marchions à la queue leu leu sur une piste dans la savane, je fermais la marche. Devant moi, il y avait quatre enfants. Nous allions rejoindre leurs parents dans les champs. Celui en tête de marche avait aussi sa petite machette qui lui servait entre autres à taillader des branches qui viendraient à encombrer la piste. D’ailleurs c’est ainsi que tout usagé de piste fait pour entretenir les pistes, un peu comme les concessionnaires d’autoroutes en Occident. Car les herbes et les branches peuvent très vite devenir infranchissable. Et sans m’y attendre, le garçon de devant dit à haute voix « SERPENT ». Tous les enfants ont continué à marcher normalement. Le seul à avoir fait un bond désordonné, c’était moi. Le garçon avait juste secoué sa machette dans les herbes pour faire déguerpir le serpent en question. Pendant que je regardais partout en ayant mille interrogations dans ma tête, les enfants poursuivirent leur conversation comme si rien n’était. Ils étaient, eux, pieds nus et moi j’avais mes chaussures montantes de baroudeur. No comment.

  • La viande se décline aussi en serpent
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  • En oiseau…
  • En rat palmiste
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Dans le village, on mange de tout. Ma posture d’écologiste a été mise à très rude épreuve. Il s’agit bien du principe de réalité dont je parlais récemment. Dans ces conditions, manger redevient un acte responsable. Pour le gibier à poil, il faut d’abord brûler soi-même les poils, le dépecer et vider ses entrailles (je n’ai pas dit mettre à la poubelle), découper, conserver ou non les extrémités, têtes comprises. Il est très rare que le gibier soit dépouillé de sa peau. On le fait cependant pour certains gros gibiers. Et c’était une corvée qui me revenait quand j’étais enfant : On me demandait alors de pratiquer une incision autour des pattes. Puis à l’aide d’une tige de roseau que je glissais entre la peau et la chair, je soufflais très fort pour installer de l’air entre la chair et la peau, ainsi cette dernière pouvait se décoller plus facilement au passage du couteau.

Revenons à un passé plus proche. Un jour, au village, c’était à mon tour de préparer à manger, puisque que je me targuais d’être un bon cuisinier. En temps normal, les femmes ne m’auraient jamais laissé faire à manger, parce que j’étais considéré comme un invité. Mais cette fois-ci, on voulait bien voir « le parisien » à l’œuvre. Sauf que j’ai commencé à trainer des pieds quand j’ai vu le petit gibier arrivé. Ma nature habituellement déterminée s’était émoussée entre temps. Et oui, j’ai maintenant l’esprit écologique chevillé au corps. Vouloir protéger la nature n’est pas sans conséquence.

Ce gibier-là n’était pas une barquette de la superette, ni une pièce de viande préparée par le boucher. Avant que je ne puisse réagir, un enfant s’est emparé de la bête et la jeter sur le feu pour le pré-préparer. Et il y avait une raison à cela : pendant que je trainais, le feu de bois se consumait et on gaspillait du bois et ensuite on ne fait pas de chichi dans ces lieux.

J’ai ainsi pu renouer avec des pratiques que l’«EuroBlack » avait enfui au plus profond de lui. La viande devenant un produit rare, on s’oblige à ne rien gâcher. On mange tout sans rien laissé. On gratte l’os. On ronge les articulations, aucun bout de tendon ne doit subsister. On vide entièrement tous les os de leur moelle. Quand la tête est préparée, son équarrissage intérieur et extérieur doit être total. Je vous le dis, manger de la viande devient un acte à haute valeur comptable ajoutée. Cette prise de position n’est pas du tout difficile car tous les travaux sont physiquement exténuants. Donc au moment de manger, on ne demande pas son reste. Chaque individu sur cette planète, qui encense la globalisation et la mondialisation, devrait avoir vécu ce type d’expérience avant de balancer de grandes théories.

C’est dans ces campagnes que tout responsable politique pourra trouver tous les éléments de motivations possibles : vision de développement économique, vision de l’éducation, de la santé, de la culture, de la défense, de la protection sociale, de l’environnement écologique et j’en passe.

J’ai vécu lors de mon séjour un apprentissage vicariant. Expérience nécessaire pour moi qui voulait changer rapidement de logiciel. Très souvent aussi, il s’agissait juste de réactiver des acquis que mon éloignement de la terre-mère avait enfoui dans mes profondeurs puisque je devais vivre d’autres expériences. Maintenant que j’ai repris mes marques, il va falloir maintenant s’occuper des enfants.

La mondialisation et la globalisation ont redistribué d’autres cartes en dépit du bon sens humanitaire. Nous devons changer nos attitudes face à ce nouveau choc des civilisations qui ne présage rien de bon pour nous africains. Nos discours argumentés et tonitruants ne changeront rien à la donne. Nous devons tous abandonné notre chaire d’analystes. Seule la reprise en main de notre territoire conféra à nos attentes du sens. Faisons de nos atermoiements notre seul ennemi. Nous devons mettre fin immédiatement au caractère normatif et tiers-mondiste de nos pays en sous-développement. Pour cela, il faut accompagner nos enfants, en faire des citoyens pour qu’ils soient en capacité plus tard de voter et de s’engager en toute clairvoyance. Nos enfants ne doivent pas mendier comme l’ont fait leurs parents et grands-parents. Ils doivent cesser avec les aides, les subventions extérieures, les organismes de charité et autres. Toutes ces choses qui nous enlèvent la fierté d’être. Ce combat doit être mené à tous les étages de la nation. Chacun choisira le niveau qui lui conviendrait le mieux. Il faut avoir une juste appréciation : Notre résistance a été malgré tout collective car elle ne date pas seulement d’aujourd’hui. Il faut le rappeler de temps en temps. Elle est à la hauteur de toutes les barbaries que nous avons subies jusqu’à présent mais aussi des humiliations persistantes. Seule la réussite n’a pas été de notre côté, à cause aujourd’hui de quelques brebis galeuses. Nos anciens ont déjà théorisé la domination subie. Les espaces de réflexions, aujourd’hui, existent à profusion. La seule chose qui a manqué et qui manque encore, c’est un positionnement radical en rupture complète avec le déterminisme. Pour ma part, j’ai choisi le rez-de-chaussée pour ne pas dire la cave. Car on y meurt en silence sous la canopée beuglarde ou indolente de nos élites africaines. Chacun doit s’émanciper de ces sempiternelles analyses virtuelles responsables de nos tétanies. Laisser les nôtres mourir dans l’indifférence, c’est le danger encouru quand on prend goût au verbe.

À très bientôt. 

Stanislas Banda
Inji balé, Ocho balé
Uzu balé, ama balé