Deux ans déjà que je suis le projet de construction du marché de Nguéréngou. Fin 2021, ça n’était qu’un projet émergeant. Il est maintenant achevé. L’information publique mentionne qu’il s’agissait d’un projet d’appui à la relance agricole et au développement de l’agrobusiness en Centrafrique et notamment à Nguéréngou. Il est important de garder ce point en tête. J’y reviendrai une autre fois. Le maître d’ouvrage est le Ministère de l’agriculture et du développement rural. Et le projet a été financé par la Banque mondiale.
L’ouvrage, non qu’il ne soit pas bel, n’est pas original car on retrouve le même modèle architectural sur d’autres localités en direction de la sous-préfecture de Damara. Une réplique qui ne fait pas honneur à l’esprit créatif. Il manque la « personnalisation » qui aurait pu mettre en avant le caractère propre de Nguéréngou.
Ce marché se situe, en venant de Bangui, une fois passé le pont de « Nguéréngou, le cours d’eau», à une centaine de mètres à gauche après la barrière de la douane. L’emplacement est juste adossé à un autre cours d’eau, le « Yangana ». À mon avis, personne n’a encore anticipé les problèmes sanitaires.
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La construction a été confiée à l’entreprise Fibert BTP qui avait un délai d’exécution de 4 mois.
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Il y a eu besoin de manœuvres locaux pour le débroussaillement et le terrassement. Des femmes ont été sollicitées pour ramener de l’eau de la rivière pour le mortier en maçonnerie.
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Une fois la construction achevée, les habitants de Nguéréngou ont été sollicités pour un grand nettoyage. Nous sommes venus en nombre avec des pelles, des binettes, des machettes et autres. Toutes les générations confondues étaient présentes : Hommes, femmes, jeunes et enfants.
Un jour, sans prévenir, des officiels de la république sont venus à Nguéréngou pour l’inauguration. Il a fallu leur dire que nous sommes des citoyens et qu’il fallait avoir un minimum d’égard à notre encontre. Car si l’ouvrage est achevé, il fallait encore le rendre présentable. Ensuite il va de soi que les habitants soient aussi présents pour l’inauguration. N’oublions pas que dans la journée la plupart des personnes vaquent à leur occupation dans les champs. Et enfin, que le marché soit investi avec des produits champêtres à vendre, ce qui serait plus parlant.
Un autre rendez-vous a été pris. Et cette fois-ci, les officiels arrivent très en retard. Entre temps, les paysans, ayant trop attendu, dépités, sont repartis à leurs travaux. On a dû improviser une inauguration avec quelques trainards. Nos chefs de village ont reçu des sévères remontrances de la part des officiels qui leurs reprochaient leur manque d’autorité. Cette façon d’infantiliser des élus locaux ne fait pas honneur à nos responsables politiques.
Et pourtant, dans un esprit participatif et collaboratif, nous, habitants de Nguéréngou, avons investi le projet de ce nouveau marché.
Ce projet de marché est né dans le cadre d’un objectif national visant l’intérêt de Nguéréngou. Il ne deviendra pertinent que quand le développement urbain de Nguéréngou sera envisagé du point de vue de son urbanisme et de son aménagement global. Car, nous le savons, il y a le projet de délocalisation de la porte d’entrée à Bangui du km12 pour la réinstaller du côté de Nguéréngou. D’où notre question, quels moyens l’État mettra-t-il à la disposition de Nguéréngou pour impulser et matérialiser nos équipements socio-culturels et nos infrastructures techniques telles l’alimentation en eau, l’électricité, le traitement des déchets… ? Car il ne s’agit pas de reproduire à Nguéréngou les erreurs du km12. Seule la concertation pourra nous éviter des impasses, des contestations et le risque autocratique se cachant derrière les apparences de bénéfices supposés.
Pour l’instant, les vendeurs ont quelques réticences à investir le nouveau marché pour la raison qu’ils trouvent que le droit mensuel qu’on leur impose n’est pas convenable. Les autorités ont menacé de les poursuivre s’ils persistaient à vendre leurs denrées au bord de la route comme auparavant. Aussi certains ont simplement ramené leur étal chez eux.
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Mais rien n’est impossible, nous trouverons une solution.
À bientôt,
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Quand je m’installe à Nguéréngou, son ciel bleu et sa nature verdoyante ont fini par gommer l’image trouble que j’avais de la capitale. Pas de poussière, une densité humaine vidée de la désagréable promiscuité propre aux grandes villes. Sans que je sache pourquoi, je me sens bien.
C’est l’allégorie du retour qui se joue pour moi. Ainsi cette rencontre, cette retrouvaille commence à me livrer la profondeur de ma quête. Elles tombent à point.
Comme sur un nuage, j’arpente la localité. Les sourires sont sincères, les regards francs. Pour eux, je suis nouveau, peut-être même un étranger. C’est vrai qu’ils ne m’ont jamais vu. Donc il est normal qu’ils ne puissent pas me relier à notre plantation familiale située à Nguéréngou même depuis des décennies. Et c’est bien ainsi, le tissage de relation ne sera que plus authentique. Mais si je n’y suis pas depuis plusieurs décennies, ce n’est pas pour autant que ma famille soit absente.
Les maisons sont faites en brique de terre crue ou cuite. Les toits sont en tôle. Les toitures en paille sont désormais quasiment délaissées. Ce qui est dommage, car en saison sèche la chaleur est insupportable avec la tôle.
Lors d’une déambulation, je tombe sur cette maison qui dénote : comme le symbole de l’impossibilité de tout accomplissement, elle est malheureusement inexploitée.
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J’apprends que c’est un don de la Chine, pour les enfants de Nguéréngou. La Chine souhaitait une activité à visée maternelle.
La population de Nguéréngou est en majorité des paysans. Ils passent leur journée dans leurs champs situés entre 3 à 5 kms (des fois plus) de chez eux. Ceux qu’on croise à Nguéréngou s’occupent plutôt de leur étal en exposant en vente des denrées provenant de leur production champêtre.
Nguéréngou est avant tout une localité dortoir.
Par conséquent, les enfants, en âge d’aller à l’école, fréquentent l’école de la localité voisine. Car les localités de Nguéréngou I et II n’ont pas d’école. Les enfants plus petits restent souvent toute la journée devant leur maison sans surveillance, ni activité. D’ailleurs il n’y a rien à craindre. Les parents ne peuvent pas toujours les emmener au champ. Car au retour, la charge à ramener est trop importante : denrées diverses, fagot etc…
J’ai donc proposé mes services aux chefs des trois localités contigües. La Cheffe de Nguéréngou, Marceline, très réactive comme d’habitude, m’a donné son accord pour réaliser mon projet de prise en charge des enfants.
J’ai fait débroussailler le terrain car comme vous le savez maintenant, les serpents sont légion à Nguéréngou.
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Je tiens à mettre une vraie distance entre les reptiles et les enfants.
Ensuite, les enfants m’ont aidé à nettoyer : Les filles ont balayé la poussière ; elles ont été à la rivière chercher de l’eau pour laver le sol.
Les garçons ont nettoyé et lavé la véranda où les cabris avaient l’habitude d’y dormir et d’y déposer leurs déjections ;
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Ils ont déplacé les tables. Celles-ci étaient lourdes car les chinois n’ont pas lésiné sur les meubles de qualité.
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L’annonce de l’ouverture s’est faite la nuit par un annonceur au sifflet. À la demande de la Cheffe, celui-ci a parcouru tout le village en annonçant que l’école avait enfin son professeur, moi. Le matin, les parents se sont présentés avec les tout petits. Je me suis organisé pour m’occuper des non-scolarisés dans la matinée. J’ai été surpris de voir beaucoup d’enfants : une cinquantaine le matin.
Le matin, je sillonne le village pour récupérer les petits. Certains, impatients, partent à ma recherche.
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Je n’ai pas de cloche pour appeler les enfants. Car le fer étant très recherché par les ferrailleurs, la cloche disparaîtrait aussitôt installée.
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Les enfants habitant sur les hauteurs m’entendant les héler d’en bas, descendaient joyeusement la colline en courant.
Par contre je consacre l’après-midi aux enfants de la primaire. Je reçois également quelques collégiens. Mais en réalité, les maternels ont pris goût aux apprentissages, aussi ils s’imposent l’après-midi puisqu’ils refusent de rester seuls à la maison. Ils s’amassent donc devant la classe des grands, m’obligeant à les accueillir à nouveau.
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L’après-midi est une classe mélangée à tous points de vue. Et il faut une sacrée disposition pédagogique pour gérer. Mais j’en fais mon affaire.
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J’utilise comme promis les chansons de Marlène Ngaro en atelier musique, mais aussi comme moment de transition entre les matières. Cela a eu un succès fou.
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Je tiens à préciser, pour éviter toute ambiguïté, que ce n’est pas une école, même si les parents préfèrent la nommée ainsi. C’est un centre culturel. Il ne dépend pas de l’éducation nationale. Le matin, il est destiné à accueillir le jardin d’enfants. Et l’après-midi est consacré au soutien scolaire des plus grands.
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Cette bâtisse est un don de Sun Yat-Sen Fraternity Fondation. Pour votre gouverne, Sun Yat-Sen considéré, comme le père de la Chine moderne, a été le premier président de la Chine. Donc pour ceux qui en douteraient encore, la Chine n’est pas un partenaire fictif.
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Pour le moment, je la fais fonctionner seulement quelques mois dans l’année, le temps de ma présence à Nguéréngou, en attendant de finir mon installation et surtout de trouver un associé local. Je la fais fonctionner sur mes deniers personnels ; ce n’est pas évident mais le jeu en vaut la chandelle.
Un petit mot pour signaler les dérives de certains fonctionnaires de l’éducation nationale :
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Des enfants sont sollicités pour ramener du fagot à l’école de la république, soi-disant pour permettre la préparation de leur goûter. Mais tout le monde s’accorde à dire que c’est l’impôt infligé aux parents par des professeurs des écoles puisque ceux-ci ramènent le butin chez eux : un prélèvement mafieux sur les habitants.
J’espère cet article inspirant. En attendant, je vous donne rendez-vous pour une prochaine publication.
À bientôt,
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Depuis deux ans déjà que je me consacre à asseoir, entre autres, une ferme agroécologique à Nguéréngou. L’idée est d’harmoniser les enjeux sociaux, écologiques et environnementaux. Pour le moment, j’en suis qu’aux prémices : j’ai quelques bananiers, quelques avocatiers, une parcelle d’ignames et de maniocs. Mon idée, c’est d’impulser la biodiversité pour préserver les ressources naturelles tout en réduisant la part chimique mais surtout de penser autonomie alimentaire de ma communauté.
C’est en désherbant que les ouvriers sont tombés sur ce serpent (la photo). Malheureusement celui-ci a été tué. J’avais laissé comme consigne d’être mis au courant de n’importe quel type d’évènement venant à se produire dans la ferme. Aussi m’a-t-on ramené le serpent. Nguéréngou est le royaume des serpents.
Ce que j’ai appris, tout comme les inséparables, ce serpent vit systématiquement en couple. Du coup, quand je suis retourné dans mes herbes, je n’avais pas l’esprit tranquille, de peur de croiser l’autre par inadvertance.
Pour le besoin des proportions, j’ai mis en scène la photo prise avec mon smartphone. Vous pouvez observer aussi que j’utilise un apn Nikon coolPix P900 (sur la photo). Cet appareil n’est aucunement plébiscité par les photographes car rares sont ceux qui lui trouvent des avantages. Mais moi, si. Car pour pas cher, on a un format compact proposant une focale de 24 mm/2000 mm. C’est-à-dire qu’on dispose d’un grand angle et d’un super téléobjectif. Ce qui est très exceptionnel. En termes de performance, il ne faut pas s’attendre à du haut de gamme. Mais mon raisonnement est très simple : Nous disposons aujourd’hui de très bons logiciels de traitement de photo, si c’est le point qualité d’image qui turlupine. La deuxième raison qui justifie ce choix, c’est qu’il n’est pas aisé de se trimbaler avec du matériel haut de gamme en Afrique subsaharienne. La misère que l’on côtoie n’est pas compatible avec ce type de matos. Et d’un autre côté, la poussière est tellement omniprésente et quoiqu’on fasse, elle s’insinue partout. Donc le risque d’une mise hors d’usage de l’apn est trop élevé..
Voilà ce que j’aperçois un matin en me levant : une mue de serpent le long du mur. La question : où est-il passé ?
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Encore une autre fois, des enfants du village m’assaillent en me disant que j’avais marcher sur un serpent.
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En fait, il était déjà mort et moi j’avais laissé la marque de ma semelle de basket dessus ; et oui, sans le savoir j’avais marché sur un serpent. Les enfants savaient que seul mes baskets pouvaient laisser la marque qu’ils avaient observée.
Ce qui est terrible, la rencontre de l’homme et du serpent finit toujours au détriment de celui-ci. Quand le serpent passe malencontreusement sur une route goudronnée, il se fait écraser car il a du mal à mouvoir sur cette surface.
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De même s’il se perd dans le village, son sort est généralement scellé.
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En essayant d’échapper à ses poursuivants, celui-ci a eu le malheur de repasser plusieurs fois au même endroit. La rumeur a commencé à enfler : « Ça n’est pas normal ce va-et-vient !!! », « On dirait qu’il cherche quelqu’un !!! », « On l’a certainement envoyé !!! ». Une demi-heure plus tard, il n’était plus. La coutume veut qu’on sectionne la tête, la queue et qu’on les balance à des endroits différents pour éviter que le serpent se reconstitue.
Pour ma part, je ne prends pas ces choses à la légère car il se joue là la question de l’identité culturelle et la question de ma place dans ma communauté.
Être ici ou ailleurs, il faut choisir.
À bientôt,
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Ma photo montre un nid d’oiseau camouflé avec une mue de serpent. Certains passereaux utiliseraient ce procédé afin de dissuader les prédateurs et pour éloigner les mangeurs d’œufs. Cette situation est rare à observer dans la nature voilà pourquoi, avec cette photo, j’ai le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel à Nguéréngou.
J’aime Nguéréngou.
J’ai choisi, depuis deux ans, comme point de chute en Centrafrique, la localité de Nguéréngou pour m’y installer et surtout m’y investir.
Il n’est pas rare de trouver deux orthographes pour le nom de cette localité : Nguéréngou ou Guéréngou. Je ne sais pas laquelle des graphies est la concurrente ou l’originelle. Personne encore n’a pu m’expliquer le fruit de l’évolution de l’usage de l’une ou l’autre.
Les coordonnées GPS de Nguéréngou sont approximativement 4.5Nord pour la latitude et 18.5Est pour la longitude. Nguéréngou culmine à 408m environ d’altitude.
En dehors des venelles qui parcourent cette localité, la RN2 est la seule voie de circulation goudronnée qui la traverse en la reliant à la capitale Bangui (30 km) et à Damara (45 km) une sous-préfecture de la préfecture d’Ombella-M’Poko.
La RN2 CopyRight2023StanislasBanda
Les habitants de Nguéréngou entretiennent avec la terre, avec les arbres, les rivières, la végétation et les collines des relations dont les banguissois ne connaîtront jamais l’équivalent. Il m’a été donné de constater cette forte dissemblance. Ainsi est-il loisible à quiconque ayant la perspective d’un retour vers le natal d’entrevoir, ailleurs qu’à Bangui, une autre configuration des possibles …
À bientôt,
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Me voilà de retour. Mon séjour en Centrafrique a duré près de quatre mois.
Je vous souhaiterais avant tout mes meilleurs vœux pour cette année 2023. Je n’ai pas pu le faire parce que j’étais dans l’arrière-pays avec quelques difficultés de communication avec l’extérieur.
SOYONS POSITIFS.
Nous avons toutes les raisons de l’être si l’on se donne juste la peine d’éviter les oiseaux de mauvais augure.
En Centrafrique, je n’ai pas rencontré l’enfer tant décrié par les réseaux sociaux de notre diaspora. J’ai retrouvé notre pays en pleine reconstruction.
Bien sûr que notre pauvreté est désespérante ;
Bien sûr que la lenteur des réalisations est démoralisante ;
Bien sûr que le niveau sanitaire est attristant ;
Bien sûr que notre école n’est pas digne de la république ;
Bien évidemment, tout cela a un impact sur le comportement des centrafricains ;
Et bien entendu, il a fallu que je m’acclimate, que je change de logiciel afin de mieux comprendre cet environnement et la psychologie des nôtres. C’est à ce prix que j’ai retrouvé une paix intérieure nécessaire à mon implication.
J’ai vécu une expérience exaltante dans mon pays, dans l’arrière -pays. À Nguéréngou, une localité située à 30 km de Bangui la capitale de Centrafrique, j’ai mis en place un centre éducatif éphémère. J’espère le rendre permanent bientôt.
Je vous avoue que de revenir en France est émotionnellement pénible. J’ai laissé derrière moi des enfants, beaucoup d’enfants, énormément d’enfants dans un besoin absolu.
Mais ce n’est que partie remise.
J’ai rajouté une rubrique supplémentaire « Nguéréngou » au menu de ce site. Je vais juste donner un peu de visibilité à cette localité centrafricaine où j’ai décidé de m’impliquer.
Sinon mis à part le froid hivernal, je vais bien.
En photo, un rapace centrafricain que j’avais surpris en pleine chasse de lézard. Lui aussi devait se demander les raisons de ma présence.
À bientôt
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Rue Madou Bangui Centrafrique CopyRight2022StanislasBanda
Notre Président Faustin Archange Touadéra s’est exprimé à la tribune de l’ONU. Je suis un centrafricano-critique et ma nature sceptique ne peut apprécier tout le contenu du discours. En effet, il a utilisé une langue diplomatique, celle qu’on utilise dans ce type de lieu. Une langue, surtout dans la première partie de son allocution, qui ne sied pas à un radical comme moi. Mais en réalité, la meilleure langue était à venir, celle qui laisse la porte ouverte à d’autres possibles. La langue des sages. La langue du joueur de jeu d’échec.
Dans cette langue-ci, le Président Faustin-Archange Touadéra a été magistral dans cet acte 3 du « Fa touroungou ». Car en moins d’un quart d’heure, il a donné à entrevoir au monde une vision en très peu de phrases :
–Il veut de la dignité pour les centrafricains.
–Il souhaite des réformes profondes des institutions internationales, signifiant ainsi son attachement aux relations internationales.
–Son défi d’accéder aux marchés internationaux justifie clairement sa démarche vers des solutions au-delà du conventionnel telles la crypto monnaie, le bitcoin…
–Et enfin il déclame clairement nos sérieuses inquiétudes quant aux manœuvres néo-coloniales qui vont dans le sens du maintien des groupes armés sur nos sols. D’où la nécessité de la restauration de l’autorité de l’État sur tout le territoire centrafricain afin de préserver nos intérêts vitaux et notre souveraineté.
Voilà, j’aime beaucoup cette idée du « Moi je ». Cela me rappelle les sentiments éprouvés lors de la sortie du « Bada » (Camp d’initiation). La fierté d’être responsable et le poids de la responsabilité. Notre président a eu la parole libre devant le monde. Sans nuances. Des propos clairs. Ce dont je suis absolument certain maintenant, c’est qu’il n’y a plus de marche-arrière possible.
On commence à voir le bout de la gouvernance-bananeraie qu’on a dû subir depuis longtemps maintenant.
Nous centrafricains commençons à exister. D’autant plus que le projet le plus important pour nous est en train de se réaliser en ce moment : c’est la réécriture (ou l’écriture) de notre Constitution. C’est notre colonne vertébrale. Tous, nous devons nous impliquer dans cette démarche car il n’existe aucun meilleur moment pour s’en occuper sauf à s’en occuper maintenant.
Le meilleur représentant du peuple, c’est le peuple lui-même dans toute sa diversité, alors ne nous défilons pas. Rangez-vous derrière qui vous voulez, vos partis politiques, vos régions, vos ethnies, vos congrégations religieuses et je ne sais pas quoi d’autres, mais impliquons-nous. Soyons le moteur de notre changement.
La fragilité de la vision viendra de notre tiédeur. Je ne suis pas en train de passer un pacte « Faustien », excusez-moi du jeu de mot. Vous le savez, je le répète sans cesse, je ne suis pas politique. Mon analyse est que l’enjeu pour les banda c’est de ne plus continuer à accepter d’être gouvernés par des élus asservis à un système néo-colonialiste. Or Faustin nous présente une vision qui porte aussi les graines de notre indépendance régionale, seule allégeance qui nous permettra de réaliser notre souveraineté ethnique.
Vous voyez, chacun pourra, avec un peu d’effort, décliner la vision, la Constitution pour y trouver sa raison de communauté ou de cohésion.
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
{Vieillir, c’est découvrir la transparence, brûler les frontières, fondre les limites, abattre les paravents… Y-a-t-il plus passionnant voyage que celui de la vie ? Jusqu’à la mort incluse ?} – Une citation de Maria Casarès
J’ai pris quelques jours pour me rendre sur les terres de Maria Casarès Franco-espagnole comme ma belle-sœur. C’est une sphère culturelle de confluence dédiée au théâtre à la mémoire de cette très grande artiste. C’est l’année de la célébration des 100 ans de Maria Casarès et des 400 ans de Molière.
J’ai d’abord débuté par une excursion contée au rythme d’une promenade à pied dans le parc. Appareillé d’un casque audio, j’ai pu partager la correspondance confidentielle et ensorcelante entre deux monstres sacrés du théâtre et de la littérature, j’ai nommé : Maria Casarès et Albert Camus.
J’ai poursuivi ensuite par une exposition sur la carrière de Maria Casarès auprès de Jean Vilar sur les scènes emblématiques du Théâtre National Populaire (TNP) et du festival d’Avignon.
Au Goûter-Spectacle, j’ai pu assister à la pièce « Jeunes Rivières », écrite et mise en scène par Paul Francesconi. La performance des jeunes était époustouflante ; Mais je retiens particulièrement celle de Mme Khadija Kouyaté qu’il faudrait absolument découvrir pour ceux qui ne la connaissent pas encore.
J’ai enquillé en fin d’après-midi avec l’Apéro-Spectacle « Comme vider la mer avec une cuiller » de et avec Yannick Jaulin et accompagné de la violoniste Morgane Houdemont. Une pure délectation sur nos besoins de réponses et d’infini à partir des textes religieux. Il a le parti pris d’assainir nos esprits en re-questionnant et en corrigeant toutes les Écritures.
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Et enfin j’ai fini la soirée avec le Dîner-Spectacle « Le Tartuffe ou l’Hypocrite » de Molière dans une mise en scène de Mathieu Roy mais dans la version initiale autrefois censurée par l’Église.
J’ai clôturé ce périple par un dîner avec ma fille Aurore qui a partagé, à côté de l’immense François Marthouret, l’affiche de cette comédie « Le Tartuffe ou l’Hypocrite ».
Cette virée a aussi été l’occasion pour moi de visiter le parc ornithologique St Hilaire la Palud où j’ai pu contempler et découvrir les oiseaux du Marais Poitevin.
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S’il m’est permis de suggérer une autre adresse ce serait celle du Bar-Restaurant de Verteuil-sur-Charente : La Sénéchalerie. Le propriétaire Pierre Poux et son équipe font de l’hospitalité un art sacré. Nous avons mangé sur la terrasse avec une vue incroyable sur le château de Verteuil.
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À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Jusqu’ici, je m’étais toujours tenu loin de la chose politique. Mais il se joue aujourd’hui sur le continent africain une nouvelle partition. Le Centrafrique semble se retrouver dans le viseur sournois d’une désintégration sourde.
Lors de mon récent séjour dans mon pays le Centrafrique, j’avais trouvé un Centrafrique égrotant, sans polarité impulsive du fait d’une décennie de coups de boutoir. Un Centrafrique égrotant mais en recherche de solutions à tous les étages. Les récits que j’ai reçus du calvaire de notre peuple étaient pétrifiants. À l’époque, je dénonçais l’attitude-badaud des forces internationales sur notre territoire. Elles avaient fini par nous imposer de nous mettre à table avec nos saigneurs, et mieux, de partager avec eux nos pouvoirs régaliens. Et tout cela sous un regard international impassible.
Le peuple a commencé à y trouver une forme de normalité. Dans la belle société, on parlerait plutôt de résilience.
Quand notre Président actuel accéda à sa haute fonction, j’avais juste dit, on jugera à l’œuvre. Pour le second mandat, j’étais franchement dubitatif. Car pour moi, il n’avait pas réussi ses épreuves régaliennes. Franchement avec le recul, je crois que personne n’aurait pu mieux faire vu l’immensité de la tâche à accomplir. Mais après tout, c’est le peuple qui choisit, surtout par le biais de la démocratie. Une démarche des urnes, même imparfaite, qui semble dorénavant se perpétuer dans notre pays ne peut être qu’à encourager.
Pourtant, malgré mes doutes persistants sur notre gouvernance, à ma grande surprise, le Président Touadera a engagé un partenariat avec la Russie. Du jour au lendemain la menace qui semblait insoluble par la communauté internationale s’est, en partie, résorbée. Lors de mon séjour, le sentiment de sérénité gagnée des centrafricains, ceux de la Capitale, était bel et bien réel. Moi qui suis antimilitariste par conviction, j’avais compris que le bien-être des miens était à ce prix-là.
Même Ghandi envisageait la possibilité d’une violence légitime. Mais voilà, des organisations internationales, sensées organiser la paix des peuples en palliant l’insuffisance de certains, ce sont celles-là qui ont empêché une nation pauvre, le Centrafrique, de se défendre. Ainsi, les nôtres n’ont pu se défendre contre leurs envahisseurs.
Pire, ces derniers étaient de mieux en mieux équipés sur le théâtre des opérations.
Mandela disait que c’est toujours l’oppresseur qui détermine les formes de lutte. Toutes ces grandes Nations qui nous conseillent l’immobilisme n’ont jamais respecté ce conseil quand elles étaient elles-mêmes attaquées au cours de leur histoire.
Malcom X aurait été sans détour. Car lui disait que tous les moyens sont bons pour résoudre une violence dirigée vers nous.
Comment pourrais-je, qualifier cette décision de notre Président Touadera ? Téméraire, héroïque. Pourquoi ? Parce qu’il a fallu faire ce que nous centrafricains nommons : « Fa touroungou ». C’est-à-dire « couper le cordon ombilical ». Donc un acte de maturité et d’indépendance contre un impérialisme occidental dans son habit des organisations internationales. Je ne pensais pas assister un jour à un tel évènement. Rien que pour cela, j’accorde du crédit au Président Touadera. Sa deuxième décision est l’avènement de la monnaie virtuelle. Acte 2 du « Fa touroungou ». C’est une hardiesse qu’il faut saluer. Car le centrafricain a besoin de marcher enfin le menton haut, le torse bombé.
Je ne suis pas naïf de penser qu’il s’agit de LA SOLUTION. Mais cet acte du SangoCoin est avant tout symbolique. C’est l’acte du « Moi je ». Si pendant 60 ans, aucun système, aucune aide n’a fonctionné, nous sommes en droit d’essayer autre chose. Si cela ne fonctionne pas, cela ne changera de toute façon rien pour nous. Cela fait belle lurette que nous sommes au fond du trou.
Mais il est important de signifier de la gratitude à ceux qui prennent du risque pour nous.
Je tiens aussi à préciser une chose, je ne suis pas politique. Je ne suis pas dans la politique. Comme dirait un certain : « J’ai le privilège de ne rien attendre et la chance de ne rien demander ».
Il semble, et c’est curieux, que le Centrafrique commence à manquer depuis peu du minimum vital sous le prétexte du conflit Russo-Ukrainien. Nos enfants et nos petits-enfants vont être mis à l’amende. Notre avenir est clairement visé dans ce cas. Nous sommes un certain nombre à penser qu’il s’agit d’un début de représailles. Qu’il en soit ainsi. Au moins, notre nouvelle maturité émergente nous désignera à coup sûr nos vrais et réels partenaires.
Il est peut-être venu ce temps des bâtisseurs que j’ai toujours imploré dans mes vœux. J’en ai besoin pour revivre ma régionalité, mon ethnicité, ma tribalité et ma clanité et surtout mon humanité.
Beaucoup d’entre nous ont peur de ces mots : Région, ethnie, tribu, clan. Et c’est normal. Ces mots ne proviennent pas de nos propres langues. Pour le moment nous faisons avec. Il viendra le jour d’une autre « redéfinition et ou attribution ».
La dernière tournée africaine de Macron est la meilleure chose qui puisse arriver aux africains : L’arrogance de Macron, symbole de cet impérialisme, a eu raison de quiconque d’entre nous aurait encore une once de doute.
Il a mis à jour le comportement rampant de certains de nos gouvernants. J’ai noté l’absence d’un port altier qui caractérise les peuples africains fiers. Un manque de manifestation d’orgueil et de fierté chez nos présidents africains du Cameroun, du Bénin et de la Guinée-Bissau. Une attitude de vassalité à vomir.
Nous aurions dû montrer à Macron que dans la savane africaine, une déférence outrancière à l’égard du mâle Alpha est toujours de rigueur. À la place de cela, nos responsables se sont pliés à un exercice très réussi d’auto-humiliation. Dans une gymnastique de cordialité obséquieuse pour s’attirer la sympathie du colon. Une pathétique flagornerie dont les peuples africains en feront et pour longtemps encore les frais.
Ces présidents de l’Afrique sub-saharienne sont en pleine phase du syndrome de Stockholm.
Nous y sommes ; en plein dans cette guerre de civilisations dont notre correction éducative nous empêchait d’aborder. Nous constatons tous qu’aucun peuple de l’Occident ne s’est levé pour manifester contre notre mise sous contention.
Et pourtant les facteurs réducteurs de nos civilisations ethniques suintent. Dorés et déjà, je peux vous en citer quelques-uns contre lesquels nous nous battons depuis : des républiques sous tutelle des relents de la traite des esclaves, de la colonisation française, du terrorisme, de la pauvreté endogène…
Mais notre misère est bien la conséquence de notre obéissance forcée à l’ONU, au diktat de la France, aux comportements licencieux des organisations africaines sous la coupole de l’impérialisme occidental. Toutes traitent l’Afrique comme un agneau sacrificiel que l’on sacrifie pour une faute qu’elle n’a pas commise.
Macron voulait se faire une notoriété à faible coût en allant parcourir le grenier africain. Mais de ce que j’ai compris sur place en Centrafrique au niveau des jeunes, une telle manifestation n’est que les signes avant-coureurs d’une décadence annoncée. Macron n’a pas croisé les peuples africains. Sinon il aurait compris que toute l’Afrique croit à la prééminence, à l’émergence de l’africain nouveau. Les évènements que nous vivons, nous africains, contribuent à une refondation nouvelle.
Aujourd’hui, une autre Afrique est en marche, Macron.
(En photo, notre champ familial de manioc en Centrafrique.)
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Pourquoi le coq crie-t-il tous les matins ? Il ne nous connaît pas et pourtant il prend soin de nous réveiller, de nous inviter à passer à l’action.
J’ai choisi délibérément une certaine forme narrative pour vous parler de mon pays. Mon but étant d’offrir aux centrafricains de l’authenticité, de la beauté… J’espère me démarquer un petit peu du récit des réseaux sociaux, qui eux, pas tous mais beaucoup parmi eux, ont apparemment reçu une mission tacite de dénégation du fait sociétal centrafricain. À chaque publication, ceux-là échouent à faire passer notre esthétique sociologique. La langue qu’ils emploient est pleine de noirceur sur laquelle la jeune génération ne pourra jamais s’appuyer. Je suis moi-même quelquefois invité à leur table comme un bout de fer le serait avec un aimant. Mais nous sommes le jour et la nuit, notre rencontre se révèle impossible.
Nous ne devons pas faire de la fatalité notre récit de référence. Voir le bout du tunnel est le seul apanage des entrepreneurs. Notre pays n’a pas besoin de gémissants. Les problèmes de notre pays conservent toujours leur pouvoir de convocation. Il faut y répondre, non pas seulement de manière politique mais plutôt dans le style des pionniers : bâtir notre terre centimètre après centimètre, pierre après pierre… Nous devons ancrer nos rêves culturellement et territorialement. C’est parce que j’ai croisé les enfants de la guerre plus souriant que moi qui revient du Fort Knox occidental, que je dois maintenant partager leur combat au quotidien. Car eux, connaissent le prix de la vie. Nous ne devons pas nous tenir indéfiniment loin de la scène. Quittons le fond de la classe et embrassons le risque salutaire, que dis-je ? l’épopée salutaire. C’est le seul moyen de mettre fin à nos effusions oratoires. Que ce soit à la campagne ou à la ville, la vague de l’émergence nous ramènera tous à bon port.
D’aucuns disent : « Dans le pays, il y a trop de magouilles ». Mais franchement, dites-moi, dans quel pays, il n’y en a pas ? Il est souvent dit qu’il y a trop d’inégalité. Et oui, c’est le propre du monde. C’est vrai qu’il n’y a qu’à voir comment les rejetons de notre « Jet society » s’affichent sur la toile pour comprendre que la misère a choisi le camp de la majorité. Pour moi, il ne s’agit pas de déposséder ce petit monde-là car personne ne rêve du monde d’en bas. Il s’agirait plutôt d’agrandir ce petit monde au plus grand nombre. Je me rappelle encore de ce jeune croisé au lycée français Charles de Gaulle à Bangui. Il faut signaler que la majeure partie des jeunes de ce lycée sont issus de la classe de privilégiés centrafricains. Ce jeune me disait avec cette arrogance propre à son milieu qu’il se retrouverait certainement en France l’année suivante. Je suis heureux pour lui qu’il ait la certitude de la réalisation de son rêve. Dans un premier temps, j’étais intérieurement outré. Mais ensuite je me suis dit que tous nos enfants devraient avoir ce type d’insolente assurance sans pour autant avoir la France comme seule destination.
J’aurais pu choisir de montrer le Bangui 2.0 mais honnêtement, laissons cela à nos enfants qui ont besoin d’assouvir leur égo. Nous avons, quant à nous autres, à montrer plutôt l’évolution des chantiers entamés histoire de faire exemple… Je ne suis pas le premier à entamer ce mouvement de retour vers le pays. Beaucoup d’entre nous de la diaspora l’ont déjà fait. Il faut l’amplifier et en parler pour faire des émules. À partir du moment où on commence à considérer notre pays, la misère est condamnée. La seule dialectique que nous devons avoir en tête, c’est le refus de l’aliénation économique afin de retrouver notre dignité par notre travail. Nous n’avons pas tous la même projection certes. Mais ce qui est important c’est que chacun se pose sa question initiale… Celle qui nous pousse à réactualiser nos rêves.
Bangui doit être comme beaucoup de capitales africaines. On aime ou on n’aime pas. Dès que j’ai pu faire un pas en dehors de Bangui, la beauté du pays m’a saisi. Celle qui te fait revisiter tes certitudes. Celle qui répare ta méconnaissance sur ta propre richesse. On accède tout d’un coup à des rapports sociaux dans un espace mental sain. La réalité culturelle et identitaire ne fait plus obstacle. Si je me présente comme un Banda, l’autre me dit qu’il est Gbaya et on continue à deviser fiers de notre diversité. Mon espace didactique s’est bonifié.
À partir d’aujourd’hui, je vais espacer mes publications. Je m’en excuse d’autant plus que j’avais encore beaucoup de choses à partager avec vous. Mais voilà, il faut un temps pour tout. Il va falloir maintenant penser et préparer le voyage suivant. En attendant, je vous dis à la prochaine.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Je vous ai déjà parlé de la vie des arbres en Centrafrique. Je vous ai aussi dit que leur transformation en charbon était dans un but de consommation domestique. Maintenant, vous allez savoir pourquoi exactement on utilise le charbon.
Étant donné qu’il n’y a pas de superette dans nos campagnes pour nous approvisionner en barquette de viande, nous ne pouvons compter que sur le chasseur. Lui seul peut nous livrer nos acides aminés essentiels, notre indispensable source de protéines. Vous remarquerez que j’ai dit chasseur et non braconnier. Parce que ceux que j’ai pu croiser répondaient à des demandes vitales de la collectivité. Ils ne sont pas en violation des pratiques ancestrales de leur communauté.
Ils utilisent essentiellement des pièges au collet.
Voici un piège à collet
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Je ne l’aurais pas remarqué sans la disposition particulière des cailloux. D’ailleurs on distingue à peine le fil utilisé.
J’ai croisé ce type de piège en traversant la savane. Il est fait avec soit un fil métallique quand c’est possible sinon avec de la matière naturelle filée ou tressée pouvant servir pour le nœud coulant. Celui-ci, dissimulé dans les herbes, est posé sur le passage des petits animaux.
Tout le long des pistes, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de remarquer que les locaux utilisent aussi des filets de chasse. Le chasseur élargie ses possibilités.
Voici un filet de chasse
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Comme pour la chasse au collet, la chasse aux filets fait aussi partie des chasses traditionnelles. Il y a deux groupes de chasseurs dans ce cas de figure. Il y a les postés qui se positionnent devant le filet et charge à eux d’achever l’animal qui viendra se prendre dans les filets. Et il y a les traqueurs, accompagnés par leurs chiens, qui rabattent les gibiers vers et dans les filets en poussant des cris et en frappant la végétation avec des branchages.
Au village, j’ai aussi assisté à la préparation des tapettes artisanales qui sont un autre type de piège…
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Je suis mal à l’aise pour parler de ce type de piège car il n’y a pas si longtemps j’ai dû en placer dans ma cave parisienne. Je n’ai vraiment rien contre les rats mais je crois que la vindicte populaire autorise encore et toujours ce type de barbarie partout dans le monde.
Il reste d’autres types de chasse : à tir, à la flèche, à la lance… Mais il m’aurait fallu faire plusieurs articles et franchement je n’ai pas le temps nécessaire.
Doit-on rendre grâce à la chasse de subsistance qui contribue à faire de nous des êtres raisonnés ou bien faut-il encenser l’élevage de masse pour répondre à notre orgie carnassière ? C’est une équation insoluble. Car manger est une transgression nécessaire. Toutes les espèces existantes, animale, minérale, végétale, sont prédatrices. La vie dépend de cette gloutonnerie.
Je vous ai mis la photo d’un collet prise lors d’une de mes excursions dans la savane centrafricaine. Dès que je l’ai vu, instantanément, j’ai eu le sentiment d’une agression contre nature. Et pourtant, dans ma jeunesse, je posais des collets. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Le fait d’avoir vécu longtemps en Europe a reconditionné mon logiciel. Acheter ma viande en barquette au supermarché m’a déresponsabilisé de cette entorse vitale.
Manger ne doit pas l’être au radar. Dans le village où j’ai été, seuls les produits de premières nécessités étaient vendus au bord des pistes : sel, huile… Pas de superette pour s’approvisionner en viande. Seule manière d’en avoir, c’est qu’elle soit proposée par un chasseur. Donc l’approvisionnement a un caractère aléatoire. Il n’y en a pas pour tout monde. Et de surcroît, on n’a pas le choix.
C’est donc pour cela qu’on utilise le bois, le charbon car sinon on devrait manger cru sa viande et ses légumes. Le fagot de bois a besoin de clients à griller.
La viande, produit des différentes chasses, peut alors se décliner :
En Biche
En rat, en agouti, en sibissi…
Voici un agouti prêt à l’emploi
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Un jour, en me rendant dans mon champ, je croise deux enfants, d’une dizaine d’années environ, qui longeaient une case et portant chacun un récipient. C’était à l’heure où plus aucun adulte ne traîne dans le village. Je leur pose la question, « qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? ». Ils me répondent « nous allons manger ». « Et qu’est-ce-que vous allez manger ? ». Le plus âgé des deux me répond exactement : « Nous avons préparé un cœur et des viscères de serpent ». Je suis resté bouche bée car mon nouveau logiciel interne avait du mal à traiter l’information. Normalement ces choses-là ne devaient pas m’ébranler. Elles sont dans ma mémoire ancienne. Mais voilà, avoir vécu des décennies en Europe change la donne. J’ai emprunté une sensibilité occidentale qui altère ma placidité. Ça me rappelle, une autre fois nous marchions à la queue leu leu sur une piste dans la savane, je fermais la marche. Devant moi, il y avait quatre enfants. Nous allions rejoindre leurs parents dans les champs. Celui en tête de marche avait aussi sa petite machette qui lui servait entre autres à taillader des branches qui viendraient à encombrer la piste. D’ailleurs c’est ainsi que tout usagé de piste fait pour entretenir les pistes, un peu comme les concessionnaires d’autoroutes en Occident. Car les herbes et les branches peuvent très vite devenir infranchissable. Et sans m’y attendre, le garçon de devant dit à haute voix « SERPENT ». Tous les enfants ont continué à marcher normalement. Le seul à avoir fait un bond désordonné, c’était moi. Le garçon avait juste secoué sa machette dans les herbes pour faire déguerpir le serpent en question. Pendant que je regardais partout en ayant mille interrogations dans ma tête, les enfants poursuivirent leur conversation comme si rien n’était. Ils étaient, eux, pieds nus et moi j’avais mes chaussures montantes de baroudeur. No comment.
La viande se décline aussi en serpent
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En oiseau…
En rat palmiste
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Dans le village, on mange de tout. Ma posture d’écologiste a été mise à très rude épreuve. Il s’agit bien du principe de réalité dont je parlais récemment. Dans ces conditions, manger redevient un acte responsable. Pour le gibier à poil, il faut d’abord brûler soi-même les poils, le dépecer et vider ses entrailles (je n’ai pas dit mettre à la poubelle), découper, conserver ou non les extrémités, têtes comprises. Il est très rare que le gibier soit dépouillé de sa peau. On le fait cependant pour certains gros gibiers. Et c’était une corvée qui me revenait quand j’étais enfant : On me demandait alors de pratiquer une incision autour des pattes. Puis à l’aide d’une tige de roseau que je glissais entre la peau et la chair, je soufflais très fort pour installer de l’air entre la chair et la peau, ainsi cette dernière pouvait se décoller plus facilement au passage du couteau.
Revenons à un passé plus proche. Un jour, au village, c’était à mon tour de préparer à manger, puisque que je me targuais d’être un bon cuisinier. En temps normal, les femmes ne m’auraient jamais laissé faire à manger, parce que j’étais considéré comme un invité. Mais cette fois-ci, on voulait bien voir « le parisien » à l’œuvre. Sauf que j’ai commencé à trainer des pieds quand j’ai vu le petit gibier arrivé. Ma nature habituellement déterminée s’était émoussée entre temps. Et oui, j’ai maintenant l’esprit écologique chevillé au corps. Vouloir protéger la nature n’est pas sans conséquence.
Ce gibier-là n’était pas une barquette de la superette, ni une pièce de viande préparée par le boucher. Avant que je ne puisse réagir, un enfant s’est emparé de la bête et la jeter sur le feu pour le pré-préparer. Et il y avait une raison à cela : pendant que je trainais, le feu de bois se consumait et on gaspillait du bois et ensuite on ne fait pas de chichi dans ces lieux.
J’ai ainsi pu renouer avec des pratiques que l’«EuroBlack » avait enfui au plus profond de lui. La viande devenant un produit rare, on s’oblige à ne rien gâcher. On mange tout sans rien laissé. On gratte l’os. On ronge les articulations, aucun bout de tendon ne doit subsister. On vide entièrement tous les os de leur moelle. Quand la tête est préparée, son équarrissage intérieur et extérieur doit être total. Je vous le dis, manger de la viande devient un acte à haute valeur comptable ajoutée. Cette prise de position n’est pas du tout difficile car tous les travaux sont physiquement exténuants. Donc au moment de manger, on ne demande pas son reste. Chaque individu sur cette planète, qui encense la globalisation et la mondialisation, devrait avoir vécu ce type d’expérience avant de balancer de grandes théories.
C’est dans ces campagnes que tout responsable politique pourra trouver tous les éléments de motivations possibles : vision de développement économique, vision de l’éducation, de la santé, de la culture, de la défense, de la protection sociale, de l’environnement écologique et j’en passe.
J’ai vécu lors de mon séjour un apprentissage vicariant. Expérience nécessaire pour moi qui voulait changer rapidement de logiciel. Très souvent aussi, il s’agissait juste de réactiver des acquis que mon éloignement de la terre-mère avait enfoui dans mes profondeurs puisque je devais vivre d’autres expériences. Maintenant que j’ai repris mes marques, il va falloir maintenant s’occuper des enfants.
La mondialisation et la globalisation ont redistribué d’autres cartes en dépit du bon sens humanitaire. Nous devons changer nos attitudes face à ce nouveau choc des civilisations qui ne présage rien de bon pour nous africains. Nos discours argumentés et tonitruants ne changeront rien à la donne. Nous devons tous abandonné notre chaire d’analystes. Seule la reprise en main de notre territoire conféra à nos attentes du sens. Faisons de nos atermoiements notre seul ennemi. Nous devons mettre fin immédiatement au caractère normatif et tiers-mondiste de nos pays en sous-développement. Pour cela, il faut accompagner nos enfants, en faire des citoyens pour qu’ils soient en capacité plus tard de voter et de s’engager en toute clairvoyance. Nos enfants ne doivent pas mendier comme l’ont fait leurs parents et grands-parents. Ils doivent cesser avec les aides, les subventions extérieures, les organismes de charité et autres. Toutes ces choses qui nous enlèvent la fierté d’être. Ce combat doit être mené à tous les étages de la nation. Chacun choisira le niveau qui lui conviendrait le mieux. Il faut avoir une juste appréciation : Notre résistance a été malgré tout collective car elle ne date pas seulement d’aujourd’hui. Il faut le rappeler de temps en temps. Elle est à la hauteur de toutes les barbaries que nous avons subies jusqu’à présent mais aussi des humiliations persistantes. Seule la réussite n’a pas été de notre côté, à cause aujourd’hui de quelques brebis galeuses. Nos anciens ont déjà théorisé la domination subie. Les espaces de réflexions, aujourd’hui, existent à profusion. La seule chose qui a manqué et qui manque encore, c’est un positionnement radical en rupture complète avec le déterminisme. Pour ma part, j’ai choisi le rez-de-chaussée pour ne pas dire la cave. Car on y meurt en silence sous la canopée beuglarde ou indolente de nos élites africaines. Chacun doit s’émanciper de ces sempiternelles analyses virtuelles responsables de nos tétanies. Laisser les nôtres mourir dans l’indifférence, c’est le danger encouru quand on prend goût au verbe.
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
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