Ma photo montre un nid d’oiseau camouflé avec une mue de serpent. Certains passereaux utiliseraient ce procédé afin de dissuader les prédateurs et pour éloigner les mangeurs d’œufs. Cette situation est rare à observer dans la nature voilà pourquoi, avec cette photo, j’ai le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel à Nguéréngou.
J’aime Nguéréngou.
J’ai choisi, depuis deux ans, comme point de chute en Centrafrique, la localité de Nguéréngou pour m’y installer et surtout m’y investir.
Il n’est pas rare de trouver deux orthographes pour le nom de cette localité : Nguéréngou ou Guéréngou. Je ne sais pas laquelle des graphies est la concurrente ou l’originelle. Personne encore n’a pu m’expliquer le fruit de l’évolution de l’usage de l’une ou l’autre.
Les coordonnées GPS de Nguéréngou sont approximativement 4.5Nord pour la latitude et 18.5Est pour la longitude. Nguéréngou culmine à 408m environ d’altitude.
En dehors des venelles qui parcourent cette localité, la RN2 est la seule voie de circulation goudronnée qui la traverse en la reliant à la capitale Bangui (30 km) et à Damara (45 km) une sous-préfecture de la préfecture d’Ombella-M’Poko.
La RN2 CopyRight2023StanislasBanda
Les habitants de Nguéréngou entretiennent avec la terre, avec les arbres, les rivières, la végétation et les collines des relations dont les banguissois ne connaîtront jamais l’équivalent. Il m’a été donné de constater cette forte dissemblance. Ainsi est-il loisible à quiconque ayant la perspective d’un retour vers le natal d’entrevoir, ailleurs qu’à Bangui, une autre configuration des possibles …
À bientôt,
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Jusqu’ici, je m’étais toujours tenu loin de la chose politique. Mais il se joue aujourd’hui sur le continent africain une nouvelle partition. Le Centrafrique semble se retrouver dans le viseur sournois d’une désintégration sourde.
Lors de mon récent séjour dans mon pays le Centrafrique, j’avais trouvé un Centrafrique égrotant, sans polarité impulsive du fait d’une décennie de coups de boutoir. Un Centrafrique égrotant mais en recherche de solutions à tous les étages. Les récits que j’ai reçus du calvaire de notre peuple étaient pétrifiants. À l’époque, je dénonçais l’attitude-badaud des forces internationales sur notre territoire. Elles avaient fini par nous imposer de nous mettre à table avec nos saigneurs, et mieux, de partager avec eux nos pouvoirs régaliens. Et tout cela sous un regard international impassible.
Le peuple a commencé à y trouver une forme de normalité. Dans la belle société, on parlerait plutôt de résilience.
Quand notre Président actuel accéda à sa haute fonction, j’avais juste dit, on jugera à l’œuvre. Pour le second mandat, j’étais franchement dubitatif. Car pour moi, il n’avait pas réussi ses épreuves régaliennes. Franchement avec le recul, je crois que personne n’aurait pu mieux faire vu l’immensité de la tâche à accomplir. Mais après tout, c’est le peuple qui choisit, surtout par le biais de la démocratie. Une démarche des urnes, même imparfaite, qui semble dorénavant se perpétuer dans notre pays ne peut être qu’à encourager.
Pourtant, malgré mes doutes persistants sur notre gouvernance, à ma grande surprise, le Président Touadera a engagé un partenariat avec la Russie. Du jour au lendemain la menace qui semblait insoluble par la communauté internationale s’est, en partie, résorbée. Lors de mon séjour, le sentiment de sérénité gagnée des centrafricains, ceux de la Capitale, était bel et bien réel. Moi qui suis antimilitariste par conviction, j’avais compris que le bien-être des miens était à ce prix-là.
Même Ghandi envisageait la possibilité d’une violence légitime. Mais voilà, des organisations internationales, sensées organiser la paix des peuples en palliant l’insuffisance de certains, ce sont celles-là qui ont empêché une nation pauvre, le Centrafrique, de se défendre. Ainsi, les nôtres n’ont pu se défendre contre leurs envahisseurs.
Pire, ces derniers étaient de mieux en mieux équipés sur le théâtre des opérations.
Mandela disait que c’est toujours l’oppresseur qui détermine les formes de lutte. Toutes ces grandes Nations qui nous conseillent l’immobilisme n’ont jamais respecté ce conseil quand elles étaient elles-mêmes attaquées au cours de leur histoire.
Malcom X aurait été sans détour. Car lui disait que tous les moyens sont bons pour résoudre une violence dirigée vers nous.
Comment pourrais-je, qualifier cette décision de notre Président Touadera ? Téméraire, héroïque. Pourquoi ? Parce qu’il a fallu faire ce que nous centrafricains nommons : « Fa touroungou ». C’est-à-dire « couper le cordon ombilical ». Donc un acte de maturité et d’indépendance contre un impérialisme occidental dans son habit des organisations internationales. Je ne pensais pas assister un jour à un tel évènement. Rien que pour cela, j’accorde du crédit au Président Touadera. Sa deuxième décision est l’avènement de la monnaie virtuelle. Acte 2 du « Fa touroungou ». C’est une hardiesse qu’il faut saluer. Car le centrafricain a besoin de marcher enfin le menton haut, le torse bombé.
Je ne suis pas naïf de penser qu’il s’agit de LA SOLUTION. Mais cet acte du SangoCoin est avant tout symbolique. C’est l’acte du « Moi je ». Si pendant 60 ans, aucun système, aucune aide n’a fonctionné, nous sommes en droit d’essayer autre chose. Si cela ne fonctionne pas, cela ne changera de toute façon rien pour nous. Cela fait belle lurette que nous sommes au fond du trou.
Mais il est important de signifier de la gratitude à ceux qui prennent du risque pour nous.
Je tiens aussi à préciser une chose, je ne suis pas politique. Je ne suis pas dans la politique. Comme dirait un certain : « J’ai le privilège de ne rien attendre et la chance de ne rien demander ».
Il semble, et c’est curieux, que le Centrafrique commence à manquer depuis peu du minimum vital sous le prétexte du conflit Russo-Ukrainien. Nos enfants et nos petits-enfants vont être mis à l’amende. Notre avenir est clairement visé dans ce cas. Nous sommes un certain nombre à penser qu’il s’agit d’un début de représailles. Qu’il en soit ainsi. Au moins, notre nouvelle maturité émergente nous désignera à coup sûr nos vrais et réels partenaires.
Il est peut-être venu ce temps des bâtisseurs que j’ai toujours imploré dans mes vœux. J’en ai besoin pour revivre ma régionalité, mon ethnicité, ma tribalité et ma clanité et surtout mon humanité.
Beaucoup d’entre nous ont peur de ces mots : Région, ethnie, tribu, clan. Et c’est normal. Ces mots ne proviennent pas de nos propres langues. Pour le moment nous faisons avec. Il viendra le jour d’une autre « redéfinition et ou attribution ».
La dernière tournée africaine de Macron est la meilleure chose qui puisse arriver aux africains : L’arrogance de Macron, symbole de cet impérialisme, a eu raison de quiconque d’entre nous aurait encore une once de doute.
Il a mis à jour le comportement rampant de certains de nos gouvernants. J’ai noté l’absence d’un port altier qui caractérise les peuples africains fiers. Un manque de manifestation d’orgueil et de fierté chez nos présidents africains du Cameroun, du Bénin et de la Guinée-Bissau. Une attitude de vassalité à vomir.
Nous aurions dû montrer à Macron que dans la savane africaine, une déférence outrancière à l’égard du mâle Alpha est toujours de rigueur. À la place de cela, nos responsables se sont pliés à un exercice très réussi d’auto-humiliation. Dans une gymnastique de cordialité obséquieuse pour s’attirer la sympathie du colon. Une pathétique flagornerie dont les peuples africains en feront et pour longtemps encore les frais.
Ces présidents de l’Afrique sub-saharienne sont en pleine phase du syndrome de Stockholm.
Nous y sommes ; en plein dans cette guerre de civilisations dont notre correction éducative nous empêchait d’aborder. Nous constatons tous qu’aucun peuple de l’Occident ne s’est levé pour manifester contre notre mise sous contention.
Et pourtant les facteurs réducteurs de nos civilisations ethniques suintent. Dorés et déjà, je peux vous en citer quelques-uns contre lesquels nous nous battons depuis : des républiques sous tutelle des relents de la traite des esclaves, de la colonisation française, du terrorisme, de la pauvreté endogène…
Mais notre misère est bien la conséquence de notre obéissance forcée à l’ONU, au diktat de la France, aux comportements licencieux des organisations africaines sous la coupole de l’impérialisme occidental. Toutes traitent l’Afrique comme un agneau sacrificiel que l’on sacrifie pour une faute qu’elle n’a pas commise.
Macron voulait se faire une notoriété à faible coût en allant parcourir le grenier africain. Mais de ce que j’ai compris sur place en Centrafrique au niveau des jeunes, une telle manifestation n’est que les signes avant-coureurs d’une décadence annoncée. Macron n’a pas croisé les peuples africains. Sinon il aurait compris que toute l’Afrique croit à la prééminence, à l’émergence de l’africain nouveau. Les évènements que nous vivons, nous africains, contribuent à une refondation nouvelle.
Aujourd’hui, une autre Afrique est en marche, Macron.
(En photo, notre champ familial de manioc en Centrafrique.)
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Ailleurs, en Europe par exemple, pour faire à manger, on a droit à des appareils de cuisson : des cuisinières.
Elles peuvent être à gaz et comme le qualificatif l’indique, elles utilisent du gaz de ville, du butane qui est un gaz de pétrole liquéfié ou du propane qui est un combustible naturel d’aspect gazeux et incolore.
Les cuisinières sont aussi électriques, constituées essentiellement soit de vitrocéramique, c’est-à-dire d’une plaque électrique recouverte de verre trempé ou soit elles sont à induction reposant sur une technologie électromagnétique. C’est-à-dire qu’elle chauffe uniquement si elle rentre en contact avec le récipient compatible.
Il y a aussi la cuisinière mixte, appelée aussi Piano qui est un mélange de deux précédentes.
En Centrafrique, sauf dans quelques rares familles très aisées, on n’utilise pas ces appareils. Car on n’a pas les moyens de s’en offrir. Et la plupart du temps, on a plutôt recours au bois, sous la forme fagot de bois ou charbon. De toute façon, la disponibilité de l’électricité étant parfaitement aléatoire, la valeur sûre reste le bois.
J’ai utilisé à escient dans le titre de cet article, le terme destination pour les arbres. La nature a l’art de donner naissance aux arbres qui ont une espérance de vie supérieure à la nôtre et ils ont tous le point commun de mourir à l’endroit même de leur naissance, après avoir rempli, entre autres, un rôle : produire de l’oxygène, purifier l’air en absorbant le CO2, filtrer l’eau… Pourtant, l’homme a assigné à l’arbre une autre destinée.
Hélas, nous touchons au nœud gordien qui est l’abattage abusif en Centrafrique des arbres même centenaires et ou remarquables. La situation critique du pays ne permet pas de prendre en compte les effets dommageables de ces coupes. Car je l’ai déjà dit à d’autres moments, les priorités sont ailleurs.
Toujours est-il qu’il y a deux formes de pratique :
Des coupes, tournées vers l’autoconsommation, effectuées par les locaux pour une utilisation domestique mais aussi pour du petit commerce. Sur ma photo, ce pousse-pousse peut effectuer entre une cinquantaine et une centaine de kilomètre dans des conditions d’un autre âge pour livrer la Capitale. Il faut savoir qu’on en croise ainsi à toute heure de la journée et aussi la nuit. Cela donne une idée de la dévastation de nos forêts.
Peut-on faire autrement ? Non, dans l’état actuel des choses. La prise de conscience n’est possible, que si l’on peut substituer le bois par autre chose. Observez bien la végétation sur ma photo, il sera extrêmement difficile de convaincre un local que bientôt nous manquerons d’arbre.
CopyRight2022StanislasBanda
Il y a aussi la sylviculture dans le cadre d’une exploitation forestière à grande échelle. Il y a beaucoup de chose à dire sur cette question-ci. Et qui mériterait un article à part. Tout ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que, quatorze ans plus tôt, en 2008, j’avais fait un reportage à propos. Je m’étais posté aux encablures de Pétévo (Centrafrique) pour filmer le défilé des poussepousses ravitaillant la Capitale Bangui en bois. Durant une heure le spectacle d’environ une vingtaine de poussepousse était accablant. Rien que pour ce poste d’observation. Chaque pousse-pousse charriait l’équivalent de quatre arbres. J’avais partagé ma préoccupation avec une charmante dame de l’entourage de Président de l’époque. Sa seule réponse, édifiante, a été : « C’est le pré carré du Président. Il n’y a rien à redire ».
Photo prise en 2008 en Centrafrique
Je me rappelle ce jour où en pleine savane, le bruit de cette tronçonneuse au loin qui m’a fait l’effet d’un arrachement. Oui, comme si on m’arrachait le cœur. Avant, çà n’était que le fait de grandes entreprises. Mais aujourd’hui, même les locaux s’y mettent. Il s’agit d’un « écocide » pour le compte du trafic de bois marchand.
Nous n’avons ni le temps, ni les moyens de mesurer l’étendue des dégâts considérables. Les forêts vont devenir des clairières. Des espèces vont émigrer.
La photo suivante est un four à charbon que j’ai photographié en pleine savane boisée à plus de cinq kilomètres de la première habitation. Il peut être profond de 3 à 4 mètres. On y place les rondins et billots. On y met le feu. On recouvre le tout de terre. Car on les brûle à l’étouffé. Le charbon obtenu partira pour la vente. Les bénéfices de ce carnage sont maigres. Cette industrie clandestine n’a pas encore produit de millionnaire à ma connaissance.
Four à charbon, CopyRightStanislasBanda
La savane est un écosystème complexe. Elle abrite une végétation, une faune (des herbivores, des carnassiers et autres…), de l’eau (rivières…). Elle participe donc à l’équilibre écologique du cœur de l’Afrique. Mais il s’y joue cependant des drames insoupçonnés. L’homme saigne la savane en abattant les arbres. Et un jour, nos sols ne seront plus protégés de la violence des pluies et des eaux. Ils vont s’appauvrir et nos plantations produirons maigre.
En faisant du charbon avec le bois abattu, notre bilan carbone ne jouera pas en notre faveur.
Charbon prêt pour le packaging, CopyRight2022StanislasBanda
Le charbon est vendu en gros, dans des sacs de ciments en papier kraft récupérés ou quelques fois dans des sacs en toile de jute, pour une somme de 1500 Frs cfa. Un sac, c’est à peu près la consommation énergétique hebdomadaire nécessaire pour une famille. Sinon la ménagère peut se contenter d’acheter le charbon conditionné dans de petits sachets à 50 Frs cfa l’unité.
Quand on brûle le bois pour cuisiner, nous sommes coupables et comptables de la production du monoxyde de carbone qui pollue notre environnement.
Peut-on faire autrement ? Visiblement NON !!! Pourtant l’écologie nous recommande une neutralité carbone pour contenir le réchauffement climatique. Je ne prends pas ces aspects à la légère. En France, pendant une canicule, j’arrive à trouver des solutions pour tenir le coup. Cette fin de janvier 2022, j’étais à Bangui. Quand la période de sècheresse (bourou pour les centrafricains) s’était installée, un alizé, l’harmatan, souffle ; l’air chaud est très sec et pleine de poussière. La chaleur exogène augmente la température du corps. J’étais en hyperthermie. Ce type de période met tout le monde au ralenti. L’économie en pâtit. Les cas de décès sont réels. Voilà pourquoi, avoir une vision nationale ou du moins une projection nationale sur la question du bois ne serait pas du luxe.
Nous devons anticiper et non réagir en fonction du diktat extérieur. Voilà à quoi doivent servir les longues études fondamentales et appliquées. Dans un état du tiers monde, un détenteur de Master en mathématiques voire Doctorat ne doit pas inéluctablement devenir un enseignant. Il doit pouvoir mettre son savoir au profit d’une ingénierie ou d’une industrie de haute technologie telle l’énergie, la recherche pétrolière, la chimie… à titre d’exemple. Dans le même état d’esprit, on ne peut pas sortir Médecin généraliste ou spécialisé et aller se barricader au ministère de la santé ! Un médecin, un dentiste, un pharmacien, un maïeuticien, une gynécologue obstétricienne a mieux à faire que de siéger à un conseil ministériel. Comment voulez-vous que la nation avance sans les détenteurs des savoirs appliqués ?
Dorénavant, on peut voir les remorques de camions internationaux, remplies de troncs d’arbres abattus, stationnés aux vues et aux sues de tous dans la grande Avenue des Martyrs (quelques centaines de mètres avant l’Avenue Koudoukou). Les cargaisons sont à destination du Cameroun. Je suppose que c’est par là qu’elles vont prendre la mer après que les camerounais se soient sucrés au passage. La demande de bois provient d’Europe. J’aime à penser que le pays en tire (malgré la gravité de cette exploitation) des bénéfices même si cela ne soit pas observable par le commun des centrafricains. Mais à qui profite vraiment ce commerce ?
Franchement, je ne peux pas avoir une analyse manichéenne de cette configuration. Mon discours ne doit pas être lénifiant. Je me dois une analyse opérationnelle. Voilà pourquoi, je ne blâme pas la pratique des locaux. J’ai été vivre avec eux. Ils ont beaucoup à nous apprendre sur la capacité à faire corps. Mon approche est plus nuancée car moi aussi, à leur place, j’aurais fait la même chose. Ce qui m’a semblé plus problématique, mais en tenant compte des priorités actuelles, c’est l’absence de projection sur cette question d’une part. Mais peut-être que je n’ai pas encore tous les tenants et aboutissants !!! Et d’autre part, la liberté accordée au profit étranger. Mais encore une fois, je ne connais pas les implications.
Je ne me mettrai pas la rate au court-bouillon pour ces questions-là. Je m’éviterai d’inutiles polémiques en conduisant plutôt des expériences tournées vers un collectif nécessiteux. Les réflexions ascétiques de nos intellectuels n’ont produit jusqu’ici qu’une vie d’oraison et de mortification.
Moi, j’ai des impératifs. Des enfants, des jeunes, des anciens m’attendent là-bas. J’aimerais juste être à la hauteur de leurs attentes. Une construction épicurienne de l’éducation et du vivre ensemble me semble plus productive que l’austérité réflexive proposée par nos intellectuels et responsables.
Ces derniers ont déserté l’espace du quotidien. Ils arpentent inlassablement les réseaux sociaux et naviguent de conférence en conférence, ces nouveaux goulags de la pensée. Ces arènes où s’affrontent nos gladiateurs africains dans un combat prétextant honorer une pensée de libération. Tout cela se passe devant un public hilare, hystérique et non représentatif (le 0,000001% qui traîne sur les réseaux.) La fin de ces joutes est toujours consacrée à celui qui a passé la commande : le maître. Le gladiateur vainqueur attend le geste du pouce tourné vers le bas pour la mise à mort de son frère de combat. Et comme c’est toujours le cas, le vainqueur retourne à sa misérable vie en attendant de nouvelles acclamations.
Mais l’homme dans sa folie ne s’arrête pas à la seule découpe des arbres. Comme si cela ne lui suffisait pas, il met aussi le feu à sa végétation de manières intentionnelles. Dans le temps, on pouvait parler d’écobuage. Le fait de brûler pour enrichir le sol. Mais nous connaissons aujourd’hui l’effet destructif de cette pratique sur les éléments nutritifs du sol. Sans oublier sa contribution climatique à l’effet de serre.
Mais il y a encore plus préoccupant lorsqu’un homme ou un petit groupe met le feu à toute une savane juste pour débusquer un rongeur qu’il destine à sa goinfrerie. C’est ainsi qu’une semaine avant mon retour à Paris, toute notre plantation familiale fut brûlée. Nous n’étions pas les seules victimes du feu : la majeure partie des familles du village fut aussi concernée. Le feu a parcouru trois collines et toutes les vallées adjacentes. Le travail d’une année anéanti par une pratique exécrable. Son impact est multiforme : social, économique et environnemental. Le pays n’offre aucun système de compensation et autres. Et pourtant, les cultivateurs sont quasiment les seuls pourvoyeurs économiques de ce pays. La probabilité que cela se reproduise l’année suivante est très forte. Si déjà dans les nations riches, l’acquisition de Canadair bombardier d’eau n’est jamais une mince affaire, alors imaginez pour la 5ème nation la plus pauvre du monde. C’est simple, il n’y en a pas. Si le feu s’abat sur la savane, il s’arrêtera selon le bon désir de mère nature. Si le feu s’abat sur un village, cela peut être juste un désastre.
Un soir, juste avant d’aller me coucher, mon regard fut attiré par un feu (la photo) au loin sur une des collines marquant les limites territoriales du village. Mon côté reporter voyait quelque chose de beau mais je ne mis pas longtemps à me rendre compte que l’enfer venait de s’inviter chez nous. Plus personne ne souriait. Le ton était soudainement devenu grave.
Feu sur la colline du village. CopyRight2021StanislasBanda
Comme dirait mon cousin, » À méditer » !!!
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
J’aime parcourir la brousse. Je me réjouis de traverser des endroits quasiment inexplorés où la machette se présente comme l’indispensable compagnon.
Pas de crottes de chien. Pas de pit-bull, comme ceux, sans laisse, qu’on croise sur les trottoirs parisiens, à qui on cède le passage sous le regard narquois du maître. D’ailleurs le pit-bull ferait grise mine dans ces lieux où pullulent de sérieux clients. On peut y croiser quelques férocités capables de manquer de respect au lion lui-même.
Je me réveillais toujours avant 5h. Dans la pénombre, j’allais retrouver, au début de la piste menant dans la savane, la femme qui prépare et vend le café et les beignets. C’est à destination des gens qui vont travailler dans les champs. Il fait frisquet. Je retrouve toujours le même chien qui se réchauffe auprès du foyer pendant que les beignets sont en train de dorer dans l’huile bouillante. Je fais comme le cabot.
C’est un lieu de convivialité où chacun demande des nouvelles des uns et des autres. On échange sur nos programmes de la journée. Il ne s’agit pas de vulgaires brèves de comptoir. En fait, chacun donne sa position, comme pour indiquer ses coordonnées GPS, au cas où il faille intervenir pour retrouver quelqu’un. D’ailleurs c’est pour cela qu’on s’interpelle à haute voix régulièrement dans la savane. Une lointaine réponse vocale suffit généralement.
Quand j’ai fini mon café, avant de me mettre en piste, je vérifie que mes indispensables sont là : Machette et consorts… La piste est tortueuse. Les herbes sont à hauteur d’homme et encore pleines de rosées. La lueur du « rising sun » est en train de chasser la nuit. Il faut faire vite, bientôt tout le monde évoluera en plein cagnard.
En fait, dans ces lieux qui semblent éloignés de tout, de temps en temps, on y trouve trace d’activités humaines : À quelques kilomètres du village, chacun a sa charge. Parents et enfants, même combat. La survie de la famille en dépend. Sur ma photo, vous seriez tenté de plaindre le petit. Mais attention, observez bien ce qu’il tient dans sa main gauche. C’est un lance-pierre. Çà n’est pas un jouet. Il n’est pas dans une cour de récréation. C’est un enfant peut-être mais c’est aussi un chasseur. Il est avec son papa sur le retour vers le village. Nous évoluons dans un environnement où la seule philosophie est celle de la survie. Surtout n’essayez pas de trouver chez moi une connivence avec la maltraitance infantile. Au début de mon séjour, j’étais moi-même tiraillé par ces constats. Mais très vite, j’ai compris que c’était la seule preuve d’amour que les parents ont pour leurs enfants. Les préparer, faute de faire autrement, à endurer leur futur. En Europe, on est toujours prompt au « y a qu’à-faut qu’on ». Mais le principe psychanalytique freudienne de la réalité nous enseigne dans la savane la capacité d’ajourner notre satisfaction pulsionnelle.
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Il y a de temps en temps des embouteillages.
Vous pouvez constater cette fois-ci une maman avec son fils, les deux sont chargés à bloc. Le fils ouvre la marche avec son long fagot de bois suivi par sa mère, elle-même, un bébé attaché dans le dos, portant son fagot de bois surmonté d’un baluchon. D’ailleurs le terme de fagot est impropre au regard du volume…
De temps en temps, on tombe sur un présentoir de fagots au bord de la piste :
Il y a plusieurs explications à cela. Soit c’est pour la vente auquel cas il faut hurler si l’on veut l’acheter (kéké ti wa ni oukè ? = combien le bois de feu ?). Quelqu’un sortira de quelque part là, de son champ par exemple, pour venir vous servir. Sinon vous pourriez tout aussi recevoir comme réponse (akè ti ka ngo ni apé !!! = Ce n’est pas à vendre !!!). Tout simplement parce que le propriétaire est quelque part là pour faire ses besoins ou alors qu’il est en train de se laver à la rivière du coin avant de rentrer. Je ne vous l’ai peut-être pas dit, il n’y a pas de commodités dans les cases. Pas d’eau courante, pas d’électricité. Donc en fin de journée, on prend ses précautions, uriner, déféquer, avant de rentrer au village. La nuit, une fois sous sa moustiquaire, mieux vaut y rester jusqu’au petit matin. Une nuit, juste avant de me glisser sous la moustiquaire, j’ai senti que quelque chose avait bougé. À l’aide de la lampe de mon téléphone, j’éclaire la pièce et voilà ce que j’ai pu photographier sur le mur de ma case. Une énorme araignée :
Je ne l’ai pas tué. Son intérêt et mon éthique écologique me l’interdisent. Mais malgré tout, j’ai bien bordé mon matelas. Une peur irraisonnée me fait m’installer au centre du lit. Je n’ai pas volontairement fermé l’œil cette nuit-ci ; c’est le sommeil qui a volé à mon secours.
Il est bien loin mon petit jardin, en région parisienne, avec son nichoir pour gentilles mésanges. Il est bien loin mon matelas pour sommeil haut de gamme. En région parisienne, il arrive des fois que les nuits soient bruyantes, parce que dans la soirée le PSG aurait gagné son match, ou alors que le Portugal, ou le Maroc ou l’Algérie gagnent leur match de foot. Alors on se met des boules Quies pour pouvoir dormir à cause de la manifestation des supporters. Mais quand il s’agit de la savane, il en est autrement. Dans la nuit, au loin, pas très loin et à côté, nous parviennent des feulements, des rugissements, des bourdonnements, des meuglements, des bêlements, des grincements, des ricanements, des coassements, des grognements, des barrissements… Je ne sais pas pour vous, mais j’aime savoir ce qui se trame dans mon environnement nocturne. Aussi, il est hors de question pour moi de mettre des boules Quies. Je n’ai pas encore suffisamment de sérénité pour cela.
Est-il permis de rendre son propre sens au mot humanité ? À l’heure de la communication intégrale, où tout le monde du « grand savoir » sait tout, il conviendrait de qualifier tous les consommateurs médiatiques de complices de génocide à ciel ouvert et pour non-assistance à être humain en détresse. Ce ne sont que des mots ? Oui, je le sais car tout le monde banalise sans vergogne l’ignominie. Je ne vous apprends pas grand-chose. Tout le monde sait tout de la vie dans les arrière-pays de Centrafrique. Dans le cas contraire, notre intime conviction devrait nous aider à nous investir auprès des nôtres. Personne n’a intérêt à laisser vivre son prochain dans l’âge de pierre.
En fait, en retournant en Centrafrique, j’ai renoué à la vie. Dans ces conditions, je me sens vivre avec des émotions authentiques. Mes ressentis ne me sont plus dictés par des médias et réseaux occidentaux en mal de buzz.
J’ai voulu vivre cela pour être en phase avec ma pensée critique. Même si je considère cette phase comme obsolète dorénavant. Car depuis des décennies nous n’avons pas cessé de faire des constats. Ce qui pèche dans tout cela, c’est la mise en œuvre.
J’ai voulu vivre cela pour penser des solutions réalistes.
J’ai voulu vivre cela pour rendre mon savoir productif.
Redonner du goût à la vie aux nôtres, à leur côté, la main dans la terre, me semble être un juste projet. Si je pouvais n’en sauver qu’un, ce serait déjà bien pour celui-là. Qu’est-ce que je gagne dans tout cela ? J’aurais gagné mon combat personnel contre la critique primaire, improductive…
Je suis de plus en plus convaincu que c’est l’action qui améliore la critique et non le contraire. Comme je le suis aussi pour le couple intellectuels africains et dirigeants africains. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Il y a d’un côté des élus (ou non) politiques et de l’autre l’opposition. L’un et l’autre se succèdent pendant que le peuple attend que le combat des égos finisse un jour.
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
J’ai gardé un esprit foncièrement positif malgré les histoires abominables que l’on m’a relatées lors de mon séjour en Centrafrique. En fait, en France, je ne recevais que les tranches « light » des atrocités commises dans le pays lors de crises passées. Et quand je pense que certains de mes amis cachaient à peine leur doute sur la véracité de ce que je leur rapportais !!! Et oui ! au plus fort de ma douleur j’informais que 13 membres de ma famille avaient été exécuté dans notre village d’Alindao, le silence des gens que je connais était plus que révélateur. Il aurait fallu peut-être que je montre des photos. Mais je n’en ai pas et même si je les avais …
Je reste positif car là-bas, j’avais croisé des enfants qui comptent visiblement sur moi. Je leur ai fait la promesse de revenir très vite. Ils sont dans une urgence absolue. Ils n’ont pas d’école dans leur village. Ils fréquentent l’école d’un autre village mais seulement quand l’instituteur est disponible. Ils n’ont pas de dispensaire. Par exemple, sans exception, ils ont tous la teigne. Quasiment tous sont en haillons et pieds nus …
Voilà pourquoi je retourne en Centrafrique.
J’ai encore le souvenir ému de quand ils m’ont accompagné à travers la savane. Une nature luxuriante. Pour arriver à l’endroit de la photo, j’étais accompagné par de jeunes enfants et deux adultes. Il faisait très chaud, je transpirais. Et eux, tous joyeux gambadaient loin devant moi. Une petite de 9 ans m’a attendu, vu que je ralentissais l’équipée, et m’a dit quelque chose de très surprenant : « Si tu es fatigué, je peux te porter ». Ma fierté en a pris un coup. Grâce à cette séquence, j’ai redécouvert la relativité.
Je suis arrivé transpirant, haletant et fatigué alors que les autres avaient eu l’air de n’avoir fait qu’une petite balade dans un parc. Quand on traverse la savane et la forêt, l’air est pur. Je me suis enivré d’oxygène et j’ai frisé l’hyperoxie. Mais quel bonheur de se servir en produit frais, d’entendre les oiseaux, la brise sur les feuilles, la chaleur tanner ma couenne.
Une fois dans le champ, à quelques kilomètres de notre point de départ, ces enfants ont pris soin de me montrer comment distinguer les différents maniocs et leurs feuilles. J’ai appris à repérer les feuilles urticantes, comment cueillir le piment et tant d’autres choses encore… Des produits bio, en veux-tu en voilà et sans te saigner. Kawéya, gbokoro, bolé, ngago, karakandji, babolo, kosso, vêkê, ngoundja, kpangaba et j’en passe, voilà quelques-uns des produits de notre terroir que j’ai récolté de mes propres mains.
Au moment du retour, nous avions pleins de victuailles dans de grandes bassines à ramener. Alors que j’étais perplexe, tous se sont saisis chacun d’un colis et nous voilà sur la piste à la queue leu leu, chantant et ricanant. Et toujours la même petite de me dire : « Je peux prendre aussi ton appareil photo ». Décidément, je devais avoir l’air de peiner.
Se soustraire de BFMTV, de YOUTUBE et autres, c’est devenir actif en s’appropriant un autre espace-temps. On se rend vite compte qu’il n’y a pas que la covid, Zemmour, le prix du carburant, le prix des pâtes, le prix de l’électricité …
J’avais choisi d’habiter dans une case en terre battue, sans électricité, sans eau courante, aucun réseau téléphonique. On devient de facto humble. Il y a des millions de personnes qui sont à ce niveau-là. Un jour, que j’utilisais mon iPhone pour prendre des photos, l’on m’a demandé combien il coûtait. Je ne pouvais pas répondre. J’ai su organiquement à cet instant que le monde était vraiment divisé. Je n’ai pas répondu à la question car j’avais honte et j’étais triste de découvrir que j’étais de l’autre côté de la barrière. Dans cette configuration là, il n’y a de place que pour les questions essentielles. « Est-ce nécessaire ? » Voilà pourquoi, beaucoup d’entre nous préfère rester derrière la petite lucarne pour observer sournoisement. Car il faut du coeur pour soutenir le regard des petits anges aux pieds nus.
Pour ceux qui se poseraient la question : Pour charger mon téléphone, je repartais à la capitale, je m’étais mon téléphone en charge pendant que je faisais quelques courses à ramener au village : Pain, sucre, huile …
Il faut savoir aussi qu’au matin, pour raisons économiques, c’est café pour tout le monde, enfants compris. Et c’est encore plus inquiétant avec l’alcool. Je n’ai pas pu dire grand-chose car j’étais rembarré gentiment. Cela me rongeait. Car je pouvais passer très vite pour l’emmerdeur de service…
Voilà aussi pourquoi je retourne en Centrafrique.
Retrouver mon rêve d’enfance : être paysan agriculteur. Pour l’instant, la démarche est d’abord symbolique. Mais un symbole qu’il faudra très vite dépasser. Car je suis un obligé du très regretté Pierre Rabhi. Il ne s’agit point d’une aventure touristique.
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Je m’efforce de ne pas être l’otage de l’actualité des médias internationaux. Avant tout, je vais dire une chose pour éviter toute équivoque. Tous les peuples qui sont en souffrance sont de facto de cœur avec ceux qui les rejoignent en cours de route. Nous, peuples du sud, savons mieux que quiconque ce que c’est d’être dans l’endurance, la torture, le désespoir sous le regard éploré et perfide des autres. Nous regrettons de ne pouvoir aider car nous sommes nous-même dans un dénuement absolu. Nous n’avons pas les moyens disproportionnés des peuples du nord. Je n’ai rien d’autre à rajouter.
Cela fait un bout de temps que je ne vous ai pas parlé de la langue banda. Il y a quelques mois, j’avais commencé à opérer mon immigration vers l’Afrique. Il ne s’agissait pas d’un reflet de la thèse identitaire ambiante. Il est juste question du retour d’un voyageur, d’un explorateur qui a fini ses périples et qui rentre chez lui pour retrouver les siens. Ce voyage a été l’établissement d’un pont entre deux réalités qui sont miennes dorénavant. Car né en Afrique, je me suis réalisé en tant qu’homme ailleurs. Cela a été une merveilleuse aventure.
Ailleurs ce qui m’a le plus manqué, c’était ma langue tribale.
Retrouver la terre de mon clan a été vital. J’y ai recouvré cette manière exquise et lyrique de parler ma langue ancestrale. Je ne la parle pas comme il le faudrait mais elle me semble si naturelle, cette émanation de notre spiritualité, qu’un rien de son ruissellement suffit à mon bonheur.
Ce voyage a mis fin à mes interrogations diasporiques et à mes élucubrations d’émigré. Par moment, je ne vivais plus l’ailleurs comme une richesse mais plutôt comme un exil avec son cortège d’acculturation. Pourquoi ? Parce que l’ailleurs commençait à me vider de ma substantifique moelle. Sur ma route, j’ai croisé le français, l’anglais, le russe, le portugais brésilien, le créole. J’ai encore et toujours des réminiscences de ces langues dans ma caboche. Alors que la langue banda n’a quasiment plus de périmètre vie dans mon être, faute de pratique, faute de rencontre. Parce que ma condition d’expatrié me permet de rencontrer beaucoup plus d’anglais, de russes, de portugais que de banda.
Voilà pourquoi, en réponse, j’avais commencé depuis quelques années à travailler sur la question de cette langue banda. Face à l’hégémonie des autres langues, il me fallait sacraliser la nôtre porteuse de l’histoire et de la culture banda. Nous devons donc la parler au quotidien pour pouvoir la préserver.
Vous comprenez alors que mon voyage-retour devenait inéluctable.
Une fois sur place, le danger dont je soupçonnais l’existence est bien réel et bien plus critique que ce que je croyais. Je vais être précis. Ce que je vais avancer comme constat ne concerne que Bangui et sa périphérie.
Car je n’ai pas pu me rendre beaucoup plus loin à l’intérieur du pays. Cela m’a été déconseillé fortement car le pays n’a toujours pas retrouvé sa stabilité sécuritaire. Il ne s’agit cependant pas d’une insécurité permanente. Il y a de la circulation. Le danger est aléatoire. Comme quand on se rend d’un bout de Paris à l’autre, ou quand on traverse tout Marseille, nul ne peut présager de la suite. En tout cas, je n’ai pas tenté le diable car mon agenda était débordant de toute façon.
Bien entendu à Bangui, j’ai trouvé, avec bonheur, des personnes locutrices banda. Il s’agissait très souvent de personnes soient âgées, soient déplacées, ou les deux à la fois. Un déplacé se retrouve à la capitale pour cause d’insécurité régionale et autres. La plupart des ressortissants banda parlent de moins en moins leur langue au quotidien ; les autres sortent à peine quelques mots ou n’ont qu’un discernement linguistique apathique sans pouvoir utiliser la langue.
La raison est depuis longtemps connue :
L’idée d’une communauté nationale, dans l’esprit des colons et de l’administration gérée par leurs vassaux autochtones, ne pouvait se conjuguer avec la pratique des langues tribales. Du coup notre école républicaine a été le goulag de nos langues régionales en nous proposant d’autres langues et en contribuant à l’éradication programmée des nôtres. L’équarrissage de nos langues s’est opéré méticuleusement.
En faisant le tour des jeunes de ma famille et des alentours, j’ai compris les responsabilités qui m’incombaient et l’obligation de poursuivre mon travail sur la langue banda. À Bangui, j’ai mis en place une petite équipe de travail. En plus de superviser nos travaux sur le parler banda, mon profil d’ânonneur fait de moi un parfait cobaye pour les différentes études.
En trois mois, j’ai réalisé plus qu’en quarante ans.
Je suis en France en ce moment. Je travaille sur les matériaux linguistiques ramenés de Centrafrique. La masse de travail est énorme. Mais je dois avancer très vite car j’y retourne dans quelques mois. Oui, il s’agit d’un retour progressif. Ces voyages aller-retour constitueront un sas de décompression pour moi. Car il est question de réadaptation climatique, sociologique, culturelle, de me réconcilier, de trouver d’autres repères, d’autres réseaux, de changer de logiciel, de retrouver l’essentiel etc…
Concernant la démarche collective, je me suis assagi depuis car l’urgence du pays se trouve ailleurs. Mais à mon niveau personnel, l’impératif reste d’actualité. Je dois non seulement poursuivre ce travail mais préparer la jeune génération à le perpétuer et c’est en bonne voie. Car le réveil national, régional, tribal, clanique sera douloureux, très douloureux.
Pour illustrer, ma pensée, je vais vous relater une situation vécue : J’ai croisé de belles personnes dans une belle région luxuriante (la photo) avec un regrettable, dommageable et malavisé penchant, elles abattaient tous les arbres, mêmes centenaires pour en faire du charbon de bois. Affolé par cette pratique, je leur fais part du souci écologique de leur comportement. Je n’ai reçu qu’une réponse narquoise me signifiant que je n’avais pas encore pris la mesure de leur réalité. Puisque je vais m’installer dans ce coin, j’en prends fait et cause.
Traduction : Il est erroné de croire qu’il y ait un gardien du temple culturel, qui doit veiller sur notre sacro-saint berceau banda, le protégeant envers et contre tous, qui, quand le jour viendra, remettra aux survivants la clé du sanctuaire tribal laquelle ouvrira des portes nous dévoilant nos trésors engloutis. Ce que je dis reste valable pour toutes les autres tribus.
Ce que j’ai vu en Centrafrique, m’incite à plus de circonspection. Nous devons tous agir avec réserve autant dans nos actes que dans nos paroles. Personne n’est chargée de garder au chaud quoi que ce soit pour qui se soit en Centrafrique. Ce qu’il faut comprendre : il n’y a pas de préposé au gardiennage de nos propriétés, de nos entreprises, de notre culture, de notre écologie, de la famille et autres. Il ne faut pas croire qu’il faille seulement rentrer et mettre les pieds sous la table. Nenni !!! Il est question ici de responsabilité collective à travers l’engagement de chacun.
Conficius disait : « Il faut d’abord faire ce qui nous coûte, ensuite ce qui nous plaît. C’est la vertu de l’humanité. »
Pour finir, j’ai constaté que les anciens étaient de moins en moins âgés en Centrafrique. Leurs souvenirs remontent à peine aux indépendances. Je n’ai relevé aucun endroit dédié à la mémoire, et donc quasiment aucune traçabilité historique. Un soir, dans le fameux village cité plus haut, inconsciemment comme un enfant, j’attendais quelque chose et visiblement les plus jeunes aussi.J’ai mis un peu de temps à comprendre qu’ils attendaient qu’un ancien s’adresse à eux. J’avais juste oublié que je faisais dorénavant partie des anciens. J’ai pris mes responsabilités. Je me suis donc retrouvé, moi, venant de France, à raconter des contes centrafricains dans un village le soir, autour du fameux feu de bois. Les enfants, mais pas qu’eux, les adultes aussi, écoutaient. À la fin, ils m’ont supplié de remettre cela le lendemain. Ils m’ont dit que ce moment-là n’existait plus dans le village. J’ose espérer qu’il ne s’agisse que de leur cas. Mais la vraie question, c’est : Qui transmettra quoi ? Comme dirait mon cher cousin : À méditer.
À très bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
J’ai fait un petit détour aujourd’hui par la place de l’Étoile – Charles de Gaulle pour découvrir une création contemporaine : C’est l’Arc de triomphe emballé. La même chose avait été faite avec le Pont-Neuf en 1985. Mais à cette époque, beaucoup de choses occupait mon centre d’intérêt et donc j’étais passé à côté de l’évènement.
Ce projet avait mûri dans la tête de Christo Javacheff et de son épouse Jeanne-Claude Denat, tous deux disparus aujourd’hui. Mais 60 ans plus tard nous assistons à sa concrétisation avec cette œuvre artistique éphémère.
Celle-ci tombe à pic pour alimenter la réflexion que j’ai avec ma fille en ce moment sur la notion d’utopie. De ce qu’on sait, Christo côtoyait le groupe des « Nouveaux réalistes ». Ceux-ci se distinguaient par une prise de conscience de leur singularité collective autour d’une idée forte : le recyclage poétique du réel. Voilà pourquoi l’utopie en tant que recyclage du réel titille mon attention.
Je reviendrai une autre fois sur cette considération esthétique.
J’espère que ce sujet pourra initier votre propre réflexion.
À très bientôt.
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Mes projets de me rendre en Centrafrique s’affinent. Je vais pouvoir bientôt revoir mes amis qui m’attendent pour la création d’une école de musique et de danse centrafricaine. Nous poursuivons nos réflexions car c’est une première. Ce projet a besoin d’une adhésion forte car il s’agit de créer un espace d’apprentissage de nos rythmes, de nos instruments et de nos danses…
Je suis très emballé par cette idée.
Toutefois, je reste profondément attristé du peu d’intérêt porté sur la question par nos compatriotes de la diaspora, malgré mon invitation dans cette démarche à caractère participatif et collaboratif.
Il est pourtant question de notre identité culturelle. Cette culture existe belle et bien. Il y a des belles personnes qui la créent déjà sur place. Mais il s’agit surtout aujourd’hui de garantir sa transmission et ses paternités.
Il m’a fallu des décennies pour découvrir que ce que je suis venu chercher à l’étranger, dans le monde, se trouve bel et bien chez moi, en Centrafrique.
Je suis maintenant à la croisée des chemins. Je vais donc rentrer chez moi pour faire ce que j’ai à faire.
Pierre Rabhi est une personne-ressource pour moi. Voilà comment Pierre Rabhi raconte la légende amérindienne du colibri : Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Il ne suffit pas seulement de la trouver belle cette pensée, encore faudrait-il la mettre en œuvre.
À bientôt.
Stanislas Banda Inji balé, Ocho balé Uzu balé, ama balé
Nous ne sommes pourtant qu’à la fin de l’automne mais on se croirait déjà en hiver. Entre 6 et 10°. Puisque nous sommes dans l’hémisphère nord, l’hiver ne débutera qu’au solstice d’hiver, c’est-à-dire le 21 décembre et ne s’achèvera qu’à l’équinoxe de printemps le 20 mars 2021.
Malgré tout le froid commence à piquer sérieusement. Mais j’apprécie car vivifiant.
L’occasion de vous ressortir cette photo réalisée il y a bientôt trois ans en région parisienne.
À bientôt.
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À l’origine, ce que dit toute la littérature sur la Tour Eiffel, il était prévu qu’elle soit démantelée vingt ans après son édification. Sa raison d’être première était l’exposition universelle de Paris en 1889. L’un des clous du spectacle a d’ailleurs été le « Village indigène » dans le cadre d’une exhibition « anthropo-zoologique ». Cette singularité et originalité de la Tour Eiffel lui ont offert une destination touristique.
Pour préserver son œuvre de la désagrégation, Mr Eiffel lui avait trouvé une vocation autre. C’est ainsi qu’à la faveur de cautions et d’empathie d’autres savants, une affectation nouvelle lui fut trouver. Voilà pourquoi les noms de 72 savants sont disposés sur la frise des quatre façades, à savoir du côté Trocadéro, du côté Grenelle, du côté École Militaire et enfin du côté Paris.
La Tour Eiffel a donc été utilisée comme laboratoire pour des observations météorologique, astronomique, stratégique, pour la communication et autres… Aujourd’hui de nombreuses chaînes de télévision et de stations radios émettent à partir de son antenne.
J’ai beaucoup de souvenirs avec la Tour Eiffel. En particulier le dîner de mariage que nous, mon épouse et moi, avons eu au luxueux restaurant Jules Verne du deuxième étage de la Tour Eiffel. Ce fut une expérience gastronomique extraordinaire à travers la cuisine raffinée du Chef Alain Reix : Un voyage entre poésie culinaire et esthétisme. Mais pas seulement, ce fut aussi une conversion mémorielle à l’adresse de nos anciens.
À bientôt.
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