Cet article est consacré à la fonderie de pièces en alliage d’aluminium à Bangui.

Mme Shella Yanémandji est une autre jeune femme centrafricaine qui mérite amplement un coup de projecteur. J’étais loin de me douter, en allant faire un reportage dans le secteur de l’artisanat de la fonderie en Centrafrique, tomber sur une femme dans un milieu réputé être celui des hommes. Mme Yanémandji est une étudiante. Mais la réalité économique, comme pour beaucoup d’autres jeunes, ne l’a pas ménagé. Aussi a-t-elle décidé d’exercer un travail d’appoint afin d’éviter la noyade sociale. Je l’ai bien évidemment interviewé. Voici ce qu’elle dit :
« J’ai choisi ce métier parce que j’y trouve des avantages. Ces avantages dépendent de l’investissement dans le prix des matériaux. On peut récupérer jusqu’à 5 fois sa mise ». À la question, comment se passe cette cohabitation parmi autant d’hommes ? Elle répond : « Seule parmi des hommes, je n’ai aucun problème. Parce qu’ils sont tous de la famille. Ils me respectent en tant que femme parce que je me respecte moi-même ».
Moi aussi, je la respecte parce qu’en tant que femme et comme toute femme banda, elle a su prendre ses responsabilités et se faire une place.
En septembre 2020, j’avais publié un article sur Jean-Baptiste Godin, l’ouvrier autodidacte, l’inventeur de la démocratie « familistérienne », pionnier industriel de la cocotte, des poêles et des fers à repasser. En parlant de lui, j’avais en tête une corrélation avec la fonderie en Centrafrique. Mais entre-temps la crise sanitaire a retardé mon voyage.
La fonderie en Centrafrique a pour vocation de satisfaire la ménagère à la demande en manufacturant une offre diversifiée.
C’est une fonderie non automatisée car les pièces qui y sont réalisées ne sont pas en série. L’équipement de façonnage est resté dans sa plus simple expression : essentiellement une activité de main d’œuvre. Il n’en reste pas moins que tous les critères de qualité sont respectés. Aucune pièce n’échappe, comme me l’explique Laurent, aux contrôles de qualité que les artisans s’imposent tout au long du processus de fabrication.

Tout part de ce quartier de Ndangué, qu’on appelle aussi Madou pour Rue Madou. Il faut tout penser, tout construire.
Mr Laurent Arsène Boysambé, très attaché à son quartier et à ses habitants, sans soutien, ni modèle d’identification, sans outil, se lance : il créé un atelier de fonderie. Afin de répondre aux besoins d’un grand nombre de ménage, il conçoit des produits utilisés quotidiennement par les ménagères. Laurent se présente comme « Ma Tawan formateur ». Ma tawan, littéralement « faiseur de casserole », est le terme local pour désigner l’artisan fondeur. Il y a bien longtemps maintenant qu’il est dans ce métier.
Il a gagné un savoir-faire qu’il perpétue dorénavant en transmettant ses connaissances et son expérience. À son échelle, il est, aujourd’hui, le moteur de l’intégration et de la formation des jeunes du quartier. Il leur donne des sources de motivation pour réduire l’impact des crises et de la précarité corollaire. Son principal levier est la promotion de l’effort. Beaucoup de jeunes sont passés sous sa férule ; Certains sont devenus aujourd’hui professeur, d’autres magistrat… Ce qui fait sa fierté.
Le cahier des charges, c’est-à-dire l’offre et la demande, dépend de la fourniture. L’aluminium employé provient la plupart du temps de la consommation locale des boissons pétillantes, sodas et bières : des canettes. Quelques matériaux recyclables que l’on qualifiera de ferraille viendront compléter cette fourniture.

Le savoir-faire du fondeur est mis au service du client en produisant des résultats extraordinaires.
La fonderie est un métier exigent. Laurent explique qu’ils évaluent d’abord le poids de la matière première, l’aluminium et les autres métaux connexes, pour pouvoir estimer combien de marmite ils pourront produire. Ils achètent aussi du charbon de bois qui servira de combustible.
Le fondeur réalise d’abord un moule en sable fin récupéré au fond d’une rivière ou d’un fleuve. De couleur jaune au départ, il devient noir sous l’action du feu.

Ce moule est un diptyque de parties se complétant : l’une destinée au fond et l’autre au-dessus. Ces deux fractions se positionnent l’une sur l’autre distant de l’épaisseur souhaitée de la pièce à réaliser. Cette épaisseur n’est au départ qu’un espace vide appelé à être comblé par la coulée de l’aluminium en fusion.

La fusion se réalise dans un petit four artisanal. Le four est une petite fosse. Un pot en matériau réfractaire et enduit de boue est placé au fond du trou. Cette boue, appelée « mascaille » pour masque, est utilisée en prévention d’une éventuelle fuite.

Du charbon de bois y est disposé et porté à très haute température. Le fondeur alimente le four en fourniture. Pour contrôler la fusion, la régulation de température est effectuée par « l’air à feu », une roue à manivelle faisant office de soufflet. Un gros tube prolonge la roue, emprunte un passage souterrain avant de déboucher sous le four. Le feu est ainsi attisé.

Du charbon est rajouté en fonction du besoin. L’aluminium en fusion est prélevé sous forme vraiment liquide du creuset (le pot). Les artisans appellent ce pot par son autre nom, « Rapide ». La fusion est ensuite coulée à travers les ouvertures prévues dans le moule. Celui-ci est rempli d’une traite pour éviter les aberrations de constitution.

Pour avoir un ajustage fin, des points repères sont cochés sur certaines parties des moules. Pour un rendu plus brillant, on utilise une poudre dont la composition ne m’a pas été communiquée.

Une autre chose que j’ai apprécié chez ces artisans, c’est leur esprit patriote : Ils tenaient tous à me montrer leur procéder d’estampage. Cela consiste à imprimer en relief « RCA (République centrafricaine) » pour signifier leur « Made in ». Ils me disent : « Ainsi, partout dans le monde, on saura que la pièce vient de Centrafrique ».
Le moule nécessite un châssis qui pourra faciliter par la suite le démoulage. Il s’agit alors d’un décochage car c’est à ce moment qu’on casse le moule pour récupérer la pièce qu’on vient de couler.

Le grain de la réalisation, c’est-à-dire le rendu de la finition dépendra du tamisage du sable.
Une fois la pièce démoulée, on parachève l’opération en éliminant les traces des bavures et autres excroissances. C’est l’ébarbage qui est le début des finitions. Car ensuite il faudra passer aux phases du limage, du ponçage et du polissage. Cette partie est réservée au « finisseur » qui lisse le fond, enlève la cale avec sa lime et sa brosse.

À ma connaissance il n’y a pas de règlementations connues en vigueur. Seul le savoir-faire du fondeur offre une garantie pour la confiance du client. Néanmoins, de nombreux et graves accidents sont à déplorer. Mais on n’en parle qu’à mots couverts. Il m’a été rapporté des accidents survenus dans ce type de lieu. Il s’agit souvent d’explosion aux conséquences graves. Problème dû certainement à un défaut d’étanchéification des fosses. Mais on ne s’épanche pas trop sur ce sujet.
En tout cas, j’ai été en contact d’un personnel hautement qualifié et responsable. Il a la capacité de concevoir les pièces de manière personnalisée pour chaque client. Cette équipe propose une large gamme de produit preuve d’une grande vitalité et de créativité : Casseroles, calebasses, louches, couverts, verres, chaudron, bijoux, sculpture…

Autre chose: ils sont fiers d’afficher leur appartenance tribale banda. Cela ne pouvait que flatter mon égo.
Si beaucoup de ménage de la diaspora brandissent fièrement leurs casseroles, c’est grâce à ses besogneux confinés dans l’anonymat. Il serait temps de leur donner une meilleure visibilité. J’espère qu’en parlant un peu d’eux, nos responsables pourront prendre en compte ce formidable réservoir de potentialité. Car si c’est aussi une vraie satisfaction pour Laurent de localiser un artisanat dans son quartier, il s’agit cependant d’un artisanat sans possibilité de devenir une industrie alors que le savoir-faire est là.
Un jour, de passage dans un coin privilégié de la capitale, j’avais surpris un bout de conversion où il était question d’un quartier des laissés-pour compte du bout de la ville. Il s’agit du quartier « Combattant » celui qui jouxte le quartier « Ndangué » où j’ai en partie grandi avant de m’expatrier. J’étais sidéré et consterné devant tant de mépris de la part de gens qui n’ont rien fait pour mériter leur statut. Ceux qui ont consacré l’échec de leurs concitoyens par une gestion calamiteuse et égoïste de leur responsabilité.
Voilà pourquoi, je parle aujourd’hui de l’autre versant de la réussite : de ceux qui, contrairement aux privilégiés précités, partent de rien pour s’occuper ensuite des autres sans jamais rouler sur l’or.
À très bientôt.
Stanislas Banda
Inji balé, Ocho balé
Uzu balé, ama balé
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.